B 1 - La Doctrine du mouvement chez les penseurs

Publié le par Sylvain Saint-Martory


Aussi étonnant que cela puisse paraître au plus grand nombre, malgré tout ce qui a déjà été dit, c’est un fait rémanent et incontournable que les Abstractions ont été des vérités fermement établies pour les penseurs de toutes les époques, même s’ils étaient en opposition avec la foule et avec la science de la foule, par laquelle ils étaient raillés jusqu’à ce que l’une ou l’autre des abstractions soit éveillée dans le savoir de la multitude, parce que sa confirmation empirique scientifique perceptible avait été trouvée  – et ils sont raillés encore aujourd’hui, parce que la connaissance de ces vraies abstractions n’a pas reçu de confirmation empirique jusqu’ici.
Depuis des temps immémoriaux, les abstractions sont liées aux expériences qui leur correspondent, et toujours de même que l’on procède intérieurement d’une pensée à l’autre, on procède extérieurement d’une chose à une autre. 

Cependant, même si l‘Abstraction peut se trouver formulée chez les penseurs, de façon aussi claire, cela peut prendre du temps jusqu’à ce qu’elle trouve son application exacte et devienne fructueuse par frottement à une première expérience. Mais, lorsqu’elle a trouvé sa confirmation dans cette expérience, elle trouve aussi son application, peut devenir d’actualité, changer la vie et être éminemment influente. Toute la pratique de l’homme, toute sa technique vitale, provient seulement du fait que les Abstractions sont mises en relation avec la vie.

Nous voulons maintenant nous mettre en route et nous persuader de la vérité de notre affirmation qu’effectivement, à toutes les époques, et alors qu’aucun pas n’avait été fait vers la science véritablement empirico-expérimentale à laquelle nous sommes soi-disant redevables de ces lois du penser d’abord, et de toute la doctrine du mouvement ensuite, depuis longtemps, bien longtemps auparavant, toutes les idées de notre science étaient pour les penseurs aussi claires qu’elles le sont maintenant pour notre science. Cela dépend – car nous parlons de cela ici -, cela dépend de la clarté et de la certitude de ces idées.
S’il ne peut plus être contesté que la clarté et la certitude de ces mêmes idées ont été tout aussi grandes – au moins tout aussi grandes – chez les premiers penseurs qu’elles le sont aujourd’hui chez les hommes de science, si ceci ne peut plus être véritablement contesté, alors rien ne reste à acquérir pour ces idées qui puisse être attribué exclusivement à la science moderne. Nous verrons que ceci ne peut pas être contesté, et nous verrons finalement que le penseur totalement accompli a vécu il y a bien longtemps, lui qui connaissait ces idées dans toute la perfection, bien plus encore qu’elles ne sont valablement admises maintenant parmi nous. Chez l’archi-philosophe Spinoza est également atteint, de façon magistrale, le point culminant des abstractions de l’entendement pratique, c’est Spinoza qui a parachevé, il y a longtemps, l’édification en granit de la doctrine du mouvement. 
Au regard de la doctrine de Spinoza sur le mouvement, avec laquelle se trouve présentée la loi de la conservation de l’énergie, loi développée par Spinoza d’une manière inégalable, et qui n’a plus été atteinte à ce jour (et ceci pourtant à une époque où on ne connaissait vraisemblablement rien du mouvement moléculaire, sur lequel nous fondons aujourd’hui la loi de conservation), on en viendra sûrement à la conclusion qu’il s’agit là de quelque chose de plus et de tout à fait différent d’un pressentiment, mot par lequel on a l’habitude en pareil cas  de réfuter avec condescendance sa propre ignorance historique, pour autant que l’on s’abaisse à en parler à propos des Anciens. 

A l’égard de Spinoza, on ne s’est pas encore abaissé si loin. Je ne le trouve même pas évoqué d’un simple mot dans la littérature sur la doctrine du mouvement ni dans la littérature sur la loi de la conservation, ce qui est tout à fait étonnant : même dans la littérature sur Spinoza ne se trouve pas à lire le minimum indiquant son interprétation sur ce point important ; pas une seule fois n’est agité le pressentiment perceptible. 
D’ailleurs, soit dit en passant, à propos des abstractions des penseurs on ne saurait parler de pressentiment, du moins sans quelque déformation de sens du mot - car pressentiment signifie : prémonition vague et erronée. Or nous verrons chez les penseurs, et à plus forte raison chez Spinoza, qu’il s’agit d’idées extrêmement claires et précises. Tous les penseurs ont été conscients à toutes les époques de la science fondamentale de la doctrine du mouvement et de l’unité du monde ; les plus doués d’imagination parmi eux l’ont exprimé de diverse manière.
C’est le cas des philosophes mystiques du Moyen Age et de la Renaissance ainsi que Bruno, qui appelaient le monde un animal infini et immortel, et Paracelse qui disait que « tout dans le Tout est animé, que tout vit, mange, boit et élimine… si quelqu’un mange un morceau de pain, il savoure en celui-ci le ciel, la terre et tous les astres… Par conséquent, le philosophe ne trouve rien d’autre dans le ciel et la terre que ce qu’il trouve aussi dans l’homme…
Quand je parle de penseurs plus doués d’imagination, j’entends ceux qui suivaient une conception organiciste de la Nature, ou du moins qui la suivaient de manière prépondérante, par opposition à la conception mécaniste, qui, seule à vrai dire, rend la science possible, c'est-à-dire le retour à nos images représentatives fondamentales du mouvement, et par leur compréhension : la maîtrise et la direction en vue de notre utilité – car, de toute science, il sort de l’utilité, de l’utilité pour la pratique de notre préoccupation de vivre. 
Cette philosophie de la Nature, dont nous trouverons qu’elle représente la première phase du réveil des idées grecques, est illuminée d’un souffle poétique, parce que, même dans la conception mécaniste parvenue à percer, la conception organiciste se fait jour ; partout s’exprime le point d’intérêt capital que rien n’est mort, qu’Un principe anime, qu’Un mouvement imprègne l’univers. « Tu dois savoir, dit Maïmonide, que cet univers est à considérer comme un Tout en interrelation, comme un individu unique… ceci est la représentation la plus juste que tu puisses te faire du Tout du monde, en te l’imaginant comme un individu vivant, en mouvement et animé. » 

Même des traces de lois, à proprement parler, de la conservation de la matière et de l’énergie se rencontrent à l‘époque médiévale. Les considérations de ce genre au Moyen Age remontent toutes sans exception aux sources grecques, principalement au Timée de Platon et à d’autres écrits plus anciens, en partie égarés. 
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