Qu'est-ce qu'une véritable explication causale ? [SUITE]

Publié le par Sylvain Saint-Martory

Dieu met en pratique sa nature, celle de cause éternellement immuable et indépendante. Il est ainsi défini, bien qu’il agisse pourtant toujours sur le monde, duquel lui-même ressent aussi un effet, c’est-à-dire un changement.

Aussi peu pour cette raison que pour l’autre, celle qui le met en colère au sujet de la chute des humains, qui l’émeut et l’altère pareillement, il n’est absolument pas incorporé au domaine du Relatif par les penseurs superstitieux, mais il continue à être appelé la causa efficiens et independens non causée et immuable produisant tous les changements,  et dans cette formulation se cache  la plus grande obscurité.

Il n’est pas possible d’exprimer plus fortement le contraire de la vérité qu’en parlant de changement dans ce qui est produit, comme si rien ne se produisait dans la cause, puisque la cause agissante et l'effet produit constituent l’enchaînement Un du mouvement, et il y a autant de mouvement dans la cause que dans l’effet, car son changement provient du mouvement de la cause, par transfert de ce mouvement. Il a déjà été question de ce discours barbare insensé d’une cause ne coïncidant pas avec son effet, et du monde absurde de la chrétienté, dans lequel il n’y a pas d’autre cause que celle qui n‘en est pas une - un monde débarrassé de la causalité et de la nécessité, de sorte que tout peut se produire aussi bien autrement que comme cela arrive.

Il a été suffisamment dit aussi que seule l’obscurité se trouve, d’abord, dans la conscience des humains. Ensuite la pensée de la cause a été introduite dans le monde, et avec elle un grand pas en avant a été accompli. Cependant, en parlant des choses comme étant des causes, et des forces comme étant des causes du mouvement, on était et on est encore très éloigné du véritable concept de causalité. Une chose n'est pas plus une cause que Dieu, et dans notre penser nous connaissons aussi peu les choses que Dieu.

Nous ne connaissons guère des choses, nous connaissons seulement la causalité, et nous ne pouvons pas utiliser à mauvais escient le mot chose au-delà de sa justification pratique. Comme déjà établi dans les prolégomènes, ce que nous nommons une chose est une unité nécessaire de la cause et de l’effet – nécessairement unis d'après la liaison de nos conceptions sensorielles spécifiques dans l’organisation de notre expérience première. En vérité, nous connaissons donc seulement ce qui cause et ce qui est produit, c’est-à-dire la causalité, pas des choses, et nous ne parlons donc pas des choses, de telle manière qu’elles seraient causes et effets. Nous ne parlons de rien d’autre que de la seule et entière causalité.

La causalité est évidemment pour nous exclusivement du mouvement, la causalité, scientifiquement comprise, est du mouvement, et on ne peut donc pas, en outre, parler aussi de forces comme si elles étaient des causes du mouvement. De la sorte on admet encore des causes particulières de la cause, et au fond, comme dans le penser religieux, la cause est à nouveau en dehors du monde. Cette conception erronée de forces, qui causent d’abord les causes, trouve un soutien apparent  dans le sentiment de notre force, tel que nous l'éprouvons en nous comme indépendant de celui par lequel nous agissons comme cause.

J’ai la force avec ces trois doigts de causer tout ce que nous appelons l’écriture – une force, que je ressens effectivement comme séparée et différente du mouvement d’écrire. Très certainement. Mais à cause de ce sentiment humain de force, admettre le mouvement de forces naturelles comme causes, c’est l’un des transferts anthropomorphistes les plus épouvantables, c’est transférer à l’ordre le la nature un complet malentendu en nous. Bien comprise, en effet, la force en vue d’un mouvement, telle que nous la sentons, n’est rien de spécial, n’est pas différente du mouvement, mais en vérité un autre mouvement, à savoir l’état de mouvement de notre entité chose dans sa totalité, et nous le ressentons donc effectivement comme n’étant pas différent du mouvement ou cause.

 

Ainsi nous ne sortons pas du mouvement, et c’est inintelligible pour nous. Nous n’identifions pas la causalité avec le mouvement, à cause du rejet radical des trois fausses conceptions causales qui aboutissent toutes les trois, au fond,  à une cause absolue hors du monde, et ainsi nous ne comprenons rien au concept de cause, nous ne le comprenons pas dans la pureté et la simplicité, à la manière dont Spinoza l’a compris. Car effectivement, tout ce dont je parle ici se trouve contenu dans les propositions de Spinoza évoquées plus haut, et face à ces propositions de Spinoza ne se trouve aucune proposition de Spinoza ayant un contenu contraire.

 

Dans aucun de ses écrits ne se trouve un passage ou une remarque accessoire, qui permette de supposer qu’il y ait jamais eu place dans son penser pour l’hypothèse d’une cause extérieure et absolue, ou des choses comme causes, voire des forces qui causeraient le mouvement. Nous avons beaucoup à apprendre de ce causaliste incomparable, car les forces comme causes du mouvement et les choses ou la matière comme cause jouent encore un rôle considérable dans la théorie et la pratique scientifiques.

Chez Spinoza tout revient entièrement, de façon claire et nette, à l’identification des choses avec la causalité (les choses ne sont pas des substances, mais s’il pouvait y avoir plusieurs substances, elles ne pourraient pas agir les unes sur les autres), et à l’identification de la causalité avec l’interrelation des phénomènes de mouvement. La vraie définition de la causalité s’oppose de la façon la plus radicale à la fausse conception dans ses trois aspects et à une explication absolue obtenue par la connaissance des causes.


Pas d’explication absolue ! Pas d’explication en général ! Rien n’est expliqué par la connaissance des causes. Rien n’est expliqué par le phénomène d’une chose particulière déterminée.  
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A SUIVRE...

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