Qu'est-ce qu'une véritable explication causale? [FIN]

Publié le par Sylvain Saint-Martory

Il n'y a pas d’explication absolue ! Pas d’explication en général ! Rien n’est expliqué par la connaissance des causes. Rien n’est expliqué par le phénomène d’une chose particulière déterminée, et même pas l’ombre d’une explication n’est obtenue. Si je dis : c’est humide, parce qu’il a plu, ou si je dis : il y a éclipse de la lune, parce que la Terre s’interpose entre le soleil et la lune, alors je n’ai rien appris sur l’humidité elle-même ni sur l’éclipse de lune en soi. Les causes n’expliquent rien des phénomènes produits, sinon les causes devraient leur ajouter quelque chose de nouveau, et devraient être autre chose que sont les phénomènes, quelque chose, par quoi seulement ceux-ci deviennent des phénomènes (id, a quo aliquid dependet per se).

Or les causes ne sont absolument rien d’autre que les phénomènes. Elles sont précisément les phénomènes produits. La pierre est mouillée, parce qu’il a plu – l’humidité de la pierre, c’est la pluie. La cause d’un phénomène, d’une chose, est elle-même une chose, une autre chose – le mot chose signifie cause dans l’ancien usage de la langue, et la causa est encore employée pour chose dans notre langage adéquat et dans celui de l’église, comme il en va généralement avec l’expression « cause célèbre » ; en français, causa se trouve différencié en cause et chose.

Chose = mouvement, mouvement = cause, donc cause = chose, et ainsi absolument rien n’est véritablement expliqué, au point qu’il n’y aurait plus rien à expliquer : puisque toute cause se trouve elle-même causée en tant que chose, l’explication est sans fin et il n’y a donc pas d’explication.
Nulle chose n’est à proprement parler une cause, elle-même devient cause par le fait d’être causée à son tour ; aucune chose n’a la cause en soi, car chacune renvoie à d’autres où elle tient sa cause, alors que celles-ci ne l’ont même pas en elles. Il en résulte finalement qu’une véritable cause, qui expliquerait tout, ne se rencontre nulle part.

 

Ainsi les causes n’expliquent rien des phénomènes des choses et ne sont absolument rien d’autre qu’eux-mêmes, et avec eux notre penser reste ce qu’il était. Notre penser des choses demeure celui de choses mutuellement en mouvement, où causalité et mouvement coïncident totalement, et avec les causes nous sommes renvoyés de Ponce à Pilate au sein de la totalité du mouvement infini ! Ceci reste dans notre penser du mouvement, mais doit aussi y rester, et afin que ça puisse y rester et que rien d’étranger ne s’y ajoute, nous devons, nous qui recherchons la conception unitaire du monde du mouvement, comprendre, de la façon la plus claire, que les mots causalité, cause et effet peuvent être échangés avec les mots mouvement, mouvant et mû.

 

Nous avons déjà été obligés pour tracer notre voie d’une conception du monde, comme étant celle d'un monde où notre penser ne rencontre que du mouvement, et il ne nous présente pas d’autres objets du penser que des choses, qui apparaissent précisément réduites en mouvement dans le penser scientifique – nous avons déjà été obligés d’abandonner l’espace et le temps en tant que soi-disant objets spécifiques de notre penser. Nous ne connaissons pas ces trois sortes de choses : l’espace, le temps et les choses en mouvement en eux, mais seulement des choses en mouvement, tandis que l’espace et le temps, hormis dans un but pratique, sont complètement invalidés, aussi bien en tant que perceptions spécifiques que formes de perception, puisque seulement les choses et leur mouvement constituent ce que nous appréhendons véritablement avec notre conscience et le seul contenu pensé. 

Et il en va exactement de même avec l’espace et le temps, et ainsi aussi avec la causalité. Si l’on reconnaît que seul le mouvement des choses constitue le contenu pensé de notre penser, ce qui est habituellement compris par espace, temps et causalité équivaut au néant, dont on doit toujours admettre qu’il n’est rien. Pourtant ce n’est pas l’affaire de tout le monde d’admettre le néant en tant que néant, aussi peu que la simplification du penser, qui se produit aussitôt que nous considérons toutes les pensées dans leur véritable relation à l’unique objet de notre penser et rejetons tous les autres soi-disant objets du penser.

Nous voulons poursuivre ceci, de façon détendue, comme étant notre affaire, tout comme nous l’avons fait à propos de l’espace et du temps, et également au sujet de la causalité, qui doit pareillement ajouter un néant à quelque chose, aussitôt qu’elle est différente de quelque chose devant désigner le mouvement des choses, et par conséquent pour nous elle doit être complètement invalidée dans cette signification particulière.

 

Ici seulement se présente l’occasion de parler explicitement, et ceci n’était pas nécessaire auparavant : la démarche de l’évolution l’a permis et exigé ; jusqu’ici nous introduisions a priori le mouvement comme la véritable causalité et nous gardions l’emploi du mot causalité à l’écart de toute incongruité : oui, je crois que j’aurai à peine utilisé le mot causalité, et certainement pas aussi souvent ni de la manière irréfléchie bien commode, tel qu’il est généralement employé. Mais cela convenait avec ce mot, et convenait partout avec le mot mouvement en lieu et place de sa signification, car, selon le concept, il n’y a pas d’autre différence entre causalité et mouvement qu’entre mouvement et mouvement.

Je ne sais pas ce que s’imaginent  par causalité particulière, ceux qui parlent de la causalité comme de quelque chose de particulier : du moins, je ne possède ni la capacité ni l’incapacité de me représenter et de penser la moindre des choses à ce sujet, aussi peu qu’à propos de l’espace et du temps, et je ne me gêne pas pour affirmer franchement que même eux ne se représentent et ne pensent absolument rien là-dessus, mais ils disent seulement des mots, exactement comme pour l’espace et le temps.

 

Certains pourraient objecter que le concept de causalité ne coïncide pas tout à fait avec celui de mouvement mais qu’il contient un élément distinctif qui ne se trouve pas initialement dans le concept de mouvement. Ils font remarquer que la causalité signifie également l’interrelation bien déterminée et immuable des choses particulières et de leurs mouvements réciproques. Ceci serait un élément distinctif de notre penser des choses quant au mouvement de ces choses, à savoir qu’il ne s’effectue pas au hasard mais de manière régulière, d’après un ordre bien déterminé, et ils concluent que le monde des choses en mouvement est un Tout ordonné et pas un Chaos.

 

Or en réalité, cet élément distinctif est essentiel à notre penser du mouvement et ceux qui ne l’y trouvent pas, prouvent tout simplement qu’ils ‘arrivent pas à saisir ce concept dans toute son étendue réellement scientifique. out notre penser est essentiellement un penser causal et le principe de causalité appartient aussi bien à l’expérience fondamentale qu’aux lois du penser abstrait, et ce depuis toujours, depuis que les humains pensent.

 

Pourtant certains, Hume par exemple, ont cru devoir rattacher la causalité uniquement à l’expérience, et d’autres comme Kant la rattachent au penser purement abstrait, voire a priori. Or la séparation du domaine abstrait de celui de l’expérience première ne correspond pas à la réalité car, en vérité, les abstractions sont un contenu également pensé par l’expérience, et rien de plus. Le  parallélisme et la liaison entre le penser abstrait et l’expérience ne ressortent nulle part aussi clairement qu’à propos de la causalité.

 

Certes, la loi abstraite de la causalité doit être bien distinguée de l’expérience sensible de la causalité. Cette loi abstraite, dans son universalité et sa nécessité, est autre chose que l’expérience première montrant qu’un morceau de bois tombe dans l’air et remonte dans l’eau, ou bien que l’eau gèle à une certaine température ; là on doit convenir qu’il s’agit de constatations tirées de l’expérience. Je ne cite pas, comme on le fait d’habitude, cet exemple bien connu de l’éclair et du tonnerre pour montrer un enchaînement de cause à effet : je dis expressément que je ne le cite pas, car ce n’est pas un exemple, à proprement parler.

L’éclair est la perception visuelle et le tonnerre la perception auditive d’un même phénomène, et le décalage des deux perceptions spécifiques n’implique en rien leur succession causale. Si les humains entendaient plus rapidement qu’ils ne voient, ils prendraient le tonnerre pour la cause de l’éclair. Ces sortes d’associations de cause à effet sont dues à notre penser primaire des choses, notre expérience sensible, où l’effet est différent de la cause et ne peut en être déduit ; la seule connaissance de la cause ne permet pas d’en tirer une conclusion valable sur la nature de l’effet.

Comme le dit Hume : « Que l’on donne à un homme, doué d’une intelligence et de facultés les plus remarquables, un objet qui soit tout nouveau pour lui et, après l’examen le plus minutieux des qualités sensibles de cet objet, il n’arrivera pas à découvrir la moindre de ses causes ni le moindre de ses effets. » ; mais nous reviendrons sur la fausse réponse de Hume, parlant  d’une « causalité basée sur la succession régulière des phénomènes. »

 

 

 

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