A - 4 : Mouvement implique changement de lieu

Publié le par Sylvain Saint-Martory

          
 
Le changement de lieu nous offre une image représentative immédiate du fait que les choses ou des parties de choses changent leur position réciproque dans des processus d’une vitesse plus ou moins grande, uniforme ou variable, rectiligne ou curviligne, à direction simple ou composée, à trajectoire progressive ou par rotation entre deux points fixes, ou bien progressive et giratoire en même temps - le changement de lieu est l’unique mouvement que nous pouvons réellement connaître, parce que nous possédons une image représentative seulement du mouvement de changement de lieu, parce que seul le penser des choses changeant de place est un penser réellement en image du mouvement.
 
D’aucune autre sorte de mouvement nous ne possédons une image représentative, et nous devons donc parler du mouvement seulement dans le sens de changement de lieu.
 
Si nous appelons aussi changement d’état ou transformation des choses le mouvement entre elles, ceci peut intervenir, soit seulement au sens figuré, soit en ramenant également le changement d’état et la transformation des choses au changement de place.
 
Le sens figuré est à rejeter d’avance, comme non scientifique, et il reste donc seulement la réduction au changement de lieu, dont l’image représentative constitue dans notre conscience le critère net établissant pour nous le concept du mouvement, le concept de mouvement qui nous explique le changement sous toutes ses formes. Nous en tirons la conclusion suivante : il s’avère que le mouvement perceptible des choses est cause de transformation, c’est-à-dire une modification de la position des choses en mouvement par rapport à d’autres choses. De même, comme une telle transformation provient du mouvement, toute transformation doit émaner du mouvement, même si c’est par du mouvement non perceptible pour notre faculté de représenter, à savoir le mouvement des atomes et des molécules. C’est la conclusion que nous tirons, et tirer cette déduction, c’est véritablement ce qui rend indispensable l’hypothèse des atomes et des molécules. Au moins de cette manière, pour l’instant, pouvons-nous apporter de la clarté.  Tout au moins, il le semble.
 
Là où nous trouvons changement et transformation sans percevoir de changement de lieu, par exemple changement de couleur, de température, d’état de cohésion, nous nous figurons du mouvement imperceptible, à savoir précisément du mouvement atomique et moléculaire, c’est-à-dire que nous nous figurons le mouvement invisible de particules élémentaires invisibles, d’après le mouvement visible dans les corps composés visibles, à la manière du mouvement des masses. La chaleur, par exemple, serait la continuité d’un mouvement mécanique ou du mouvement de rayons lumineux, ou de l’électricité, ou d’un processus chimique dans les molécules d’un corps chauffé, lequel, pour une raison ou pour une autre, a été mis en mouvement vibratoire. Le mouvement vibratoire est évidemment du changement de lieu.
 
La vibration ou oscillation des molécules autour de leur position d’équilibre est également du changement de place, tout comme la dilatation est du changement de lieu par réchauffement – que les corps se dilatent, quand ils sont chauffés, nous montre de manière sensorielle que, dans le réchauffement, il s’agit de mouvement. Ce que nous nous figurons dans le mouvement atomique et moléculaire n’est donc rien d’autre et ne peut être rien d’autre que le changement de place des atomes et des molécules. Nous nous les imaginons en mouvement les uns vers les autres, se rapprochant ou s’éloignant entre eux, en répulsion, en rotation, etc.
 
Nous nous imaginons à peu prés de la sorte le mouvement des atomes et des molécules dans un corps composé, en nous figurant les corps célestes comme des molécules (des êtres vivraient sur des molécules si petites par rapport à eux comme nous par rapport à la terre, des êtres par ailleurs semblables à nous, organisés à notre manière et pourvus d’un visage, et à de tels êtres les molécules de leur voisinage sembleraient aussi petites et aussi éloignées que nos planètes pour nous), ou encore mieux par exemple, en imaginant, la masse sphérique de matière de notre système solaire être composée comme des groupes d’atomes et de molécules, à partir des sphères sidérales; dans notre comparaison, les diverses planètes de notre système solaire représenteraient les atomes, et la combinaison de tels systèmes en un système d’ordre supérieur représenterait la chose ainsi composée.
 
Dans les corps célestes nous avons en même temps un exemple, et même le seul exemple tout à fait net à vrai dire, d‘un mouvement continuant sans cesse, que nous saisissons en images comme un incessant changement de lieu, c’est-à-dire comme changement de juxtaposition. Tous les autres exemples, y compris le mouvement incessant de notre cœur et de la circulation sanguine, sont moins nets. Toutefois, dans la tentative de représenter en images le mouvement atomique et moléculaire, c’est-à-dire de les penser réellement avec un contenu clair et défini de représentations, il s’avère totalement impossible de revenir à autre chose qu’au changement de lieu, parce que celui-ci, comme déjà souvent répété, constitue l’unique mouvement susceptible d’être représenté par notre faculté de représentation en images : il n’y a aucun autre penser du mouvement, parce que seul le mouvement de changement de lieu coïncide avec notre capacité de représenter. Je voudrais bien voir celui, auquel il serait possible de se représenter un autre mouvement que celui du changement de lieu, et qui pourrait se représenter autrement le mouvement atomique et moléculaire ! Se représenter le mouvement sans se représenter le changement de lieu, cela équivaut à se représenter du mouvement sans se le représenter.
 
Une réelle explication est fournie avec l’introduction du mouvement moléculaire et finalement atomique. Tout changement s’explique effectivement par lui – nous n’avons plus du tout besoin de dire : par le mouvement -, puisqu’avec l’hypothèse du mouvement, c’est-à-dire du changement de juxtaposition des choses originelles, tout changement est parfaitement expliqué : à vrai dire, le changement est précisément cette modification de la juxtaposition des choses primitives, dans laquelle nous pensons réduit le monde entier des choses. Quiconque aurait devant lui le monde des choses en transformation, pour lui les changements n’auraient plus besoin d’être expliquées par le mouvement, car celui-là reconnaîtrait tout changement comme étant le mouvement lui-même.
 
C’est donc seulement ce que nous comprenons du changement d’état et de la transformation des choses les unes dans les autres, et nous ne comprenons rien d’autre d’elles que le fait de nous représenter aussi en images le changement d’état et la transformation sous la forme du changement de lieu et de ramener ainsi n’importe quel changement au mouvement de locomotion. Ce n’est déjà plus pour certains qu’un simple postulat, et on croit posséder une connaissance effective plus précise du mouvement moléculaire. 

Il en va ainsi des molécules de gaz, dont Clausius a tenté de calculer la vitesse – il s’agit de la vitesse des molécules de gaz, exception faite évidemment du mouvement vibratoire et rotatoire des atomes qui les composent - : ils doivent être saisis dans un mouvement rectiligne proportionnel à la force active de la température ; on croit déjà avoir déterminé le nombre de secousses en une seconde et la vitesse moyenne entre deux secousses. Nernst a soi-disant calculé le diamètre de la molécule d’acide carbonique (environ 0,000.000.629 mm), et on s’est même attaqué au calcul de la taille et de la masse d’un électron.
 
Ce que nous cherchons et trouvons, et souhaiterions trouver partout, ce sont des processus de changement de lieu qui nous sont connus, et par-là une explication immédiate claire et précise. Que l’on n’oublie pas cependant ce qu’est, et ce que nous appelons une explication. Ce n’est en aucun cas autre chose que le retour à la simple et claire expérience en images. Nous connaissons des explications théoriques et génétiques : l’explication théorique est la description des images empiriques d’un phénomène, à savoir son mouvement agissant ; l’explication génétique cite d’autres phénomènes de l’expérience en images, lesquels contiennent pour l’explication du phénomène le mouvement comme sa cause agissante. La réduction à des images claires et connues vaut explication ; nous avons expliqué, dès lors que nous sommes revenus aux images représentatives conformes à l’expérience.
 
Ainsi nous expliquons une image représentative ou chose de l’expérience fondamentale par une autre. Mais nous voulons aussi maintenant expliquer la genèse de ces représentations en images elles-mêmes. Nous ne voulons pas seulement connaître les choses comme causes et effets : même les choses agissantes ne nous sont pas véritablement expliquées génétiquement, puisqu’elles sont pareillement affectées par d’autres choses et agissent seulement à leur tour en réaction sur d’autres choses. Toutes les choses sont causées, mais nous recherchons LA cause de toutes les choses ; nous connaîtrons les choses seulement lorsque nous la connaîtrons. « La connaissance de l’effet dépend de la connaissance de la cause et l’implique », dit Spinoza.
 
Notre penser tend vers une entité ultime, par laquelle toutes les images représentatives de l’expérience fondamentale se trouveraient génétiquement expliquées par voie expérimentale, c’est-à-dire ramenées précisément à quelque chose d’ultime, non réductible à autre chose, à la cause Unique, dont dépend toute connaissance des choses, et qui est incluse en toutes les choses. C’est le mouvement de changement de lieu. Il donne l’explication ultime que nous pouvons comprendre. Et le mouvement de locomotion, en tant que phénomène initial, nous montre – comme nous le verrons bientôt – la genèse de toute chose particulière dans le monde des choses, pas seulement de tous les changements, mais aussi de l’entière multiplicité des phénomènes. C’est pourquoi nous avons en lui notre explication. 

Dans la mesure où le changement de lieu, c’est-à-dire le changement de juxtaposition des choses, n’est pas expliqué, le mouvement n’explique rien, et il n’y a absolument pas d’autre explication qu'au moyen du mouvement. Là où nous renonçons à penser sur la base de cette représentation fondamentale du mouvement, nous avons cessé de penser scientifiquement ; un penser sans relation à cette représentation en image, et qui n’est pas finalement animé par elle, est un penser mort, n’est pas du tout un penser – c’est peut-être un concept kantien sans image !
 
C’est pourquoi cela nous pousse à reconnaître que toutes les choses et toutes les transformations de choses dépendent du processus Unique de mouvement saisi conceptuellement de façon claire et déterminée comme la source de toutes. Nous recherchons donc pour l'ensemble, et nous devons rechercher cette explication Unique, car nous souhaitons comprendre la totalité du monde de nos choses composées, comprendre pareillement aussi tout changement chimique et organique, en tant que mouvement de locomotion des choses composantes les plus petites, à la manière dont nous comprenons les mouvements des corps célestes.
 
Nous souhaitons pour nous cette parfaite compréhension astronomique, que Laplace a désignée avec une vision exacte et épurée de la véritable science de l’entendement pratique, comme étant « l’esprit, qui connaîtrait toutes les forces animant la nature et la situation mutuelle des êtres, dont elle est composée… il comprendrait dans la même forme les mouvements des plus grands corps célestes et des plus légers atomes : rien ne serait incertain pour lui, l’avenir comme le passé serait son regard actuel. L’entendement humain offre un faible portrait d’un tel esprit dans l’achèvement, qu’il avait su donner à l’astronomie.
 
En fait, nous pouvons acquérir la compréhension des choses seulement dans la mesure où nous les réduisons à des représentations distinctes de changement de lieu. Après l’avoir fait, toute chose faisant partie de la configuration générale de notre vision du monde nous est expliquée ainsi : et pas seulement le changement, dont nous avons essentiellement parlé jusqu’ici, mais aussi la diversité des choses.
 
                                 A SUIVRE… 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 

 

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