Explication causale : Spinoza contre Kant [SUITE]

Publié le par Sylvain Saint-Martory


Je ne vois pas du tout de différence et mon affirmation confirme que la foule reste la foule ; la bêtise exprimée de façon savante, ou non savante, ne constitue pas une différence. Quiconque parle comme Kant du libre primus motor du monde, et se prend sur sa chaise pour un libre primus motor, est perdu avec une telle aberration pour le concept de causalité,  il ne peut pas prétendre au nom de penseur et on doit le laisser définitivement pour ce qu’il est - que peut pour nous, qui cherchons le penser, celui qui tient le faux pour vrai, et explique tant de faux penser pour le juste ? Penser faussement, ce n’est pas penser !

 

Déjà, dans les Cogita metaphysica II, 9, Spinoza, le grand défenseur de la causalité, écrit : « Si les humains pouvaient connaître clairement l’ordre tout entier de la Nature, ils trouveraient toutes choses aussi nécessaires que ce qui est enseigné en mathématique, mais seulement comme cela dépasse le discernement humain, on tient certaines choses pour possibles,  et d’autres pour nécessaires », et il ajoute :

« Si la pierre lancée par nous avait une conscience semblable à la conscience humaine, elle prendrait son vol comme un acte de sa liberté. » Ceci veut dire : si elle pensait, comme il est pensé dans les têtes de la foule. Le penseur ne pense pas ainsi.

 

Toute cause, qui met les choses en mouvement « tout à fait librement et sans l’intervention déterminante inéluctable de causes naturelles », et qui est à la fois une  non-chose, immobile et située derrière les choses et leur mouvement, n’est pas une cause naturelle, est une cause absolue, est Dieu.  Une telle cause est un Dieu – il y a autant de dieux que de choses et de mouvements des choses, et finalement derrière tous la cause ultime absolue, le grand Dieu. Ainsi a-t-on bien expliqué, et ce qu’on a expliqué, était assurément expliqué absolument.

 

On doit saisir aussi vivement que possible qu’une telle manière d’expliquer causalement n’a aucune ressemblance avec l’explication causale adéquate, au point qu’elle n’indique véritablement aucune sorte de cause. On pose la question : quelle est la cause du monde des choses ? La réponse est : Dieu, la non-chose, est la cause des choses. Ainsi est trouvée la cause absolue et avec ça basta. Mais qu’a-t-on expliqué ainsi ? Quel est, là, ce qui explique véritablement ? Dieu a fait le monde à partir de rien – là, le néant est ce qui explique véritablement. On ne sait ni qui est Dieu ni comment il a fait ; on n’en sait rien, et on ne se pose pas de questions.

Si on demande d’où vient le monde, la réponse est simple : du Néant. Ce Néant est seulement défini par son opposition au monde, comme quelque chose existant ;  ce Néant  est donc la véritable explication, et que Dieu soit défini  essentiellement comme n’étant pas une chose (Scotus, De div. Nat. III, 19 dit textuellement : le Néant est l’essence de Dieu), repose donc seulement sur le fait qu’à cet égard il est identifié au Néant, d’où le monde tire son origine : Dieu est lui-même le Néant, d’où le monde existe, Dieu est le monde, quand il était encore le Néant, et pas encore le monde – tout comme existait le chaos, d’après leur Cosmogonie de Kant et Laplace, lorsqu’il n‘était pas encore ce monde ; c’est pourquoi Dieu, en tant qu’origine primitive du monde (principium principiorum) est encore l'unique chose vraie, la chose absolue (ens entium), de même que le chaos dans cette Cosmogonie.

Que l’on veuille bien se souvenir ici de ce qui a été dit plus haut : il y a la même parenté entre l’émergence du monde à partir du chaos et la création divine à partir du Néant ; nous voyons encore beaucoup mieux  que seul le Néant est l’élément explicatif  et que Dieu concorde totalement avec ce Néant. Mais il faut aussi comprendre que n'est pas réellement indiquée une cause avec la réponse Dieu cause du monde, parce que Dieu, moteur immobile, est défini comme n’étant pas une chose, comme étant le Néant ; à son sujet, on ne saurait donc légitimement parler d’une quelconque propriété concernant les choses ni de sa manière d'agir sur elles.

La différence entre Dieu, en tant que cause, et le monde, en tant qu’effet, est donc la différence entre rien et quelque chose. Or une cause doit aussi être quelque chose ; elle met en mouvement, parce qu’elle est en mouvement, et elle diffère de l’effet, comme un état de mouvement est différent d’un autre.

 

Combien est ridicule une telle explication, qui n’explique à peu près rien, puisqu’elle n’indique pas réellement une cause, mais ajoute un Néant derrière ce qui est à expliquer ; elle conduit ainsi en dehors de notre penser entier, qui est seulement un penser de choses, et en dehors de toute explication compréhensible pour nous - pour nous, en effet, l’explication est contenue seulement dans le retour au mouvement (tout est façonné par le mouvement, par lui les diverses choses sont ce qu’elles sont – il est ainsi expliqué relativement et pratiquement, comme nous en avons besoin.

Par contre l’explication : Dieu a fait les choses comme elles sont à partir de rien, dans laquelle le Néant contient l’explication et doit donc représenter la cause du quelque chose du monde, n’est précisément pas représenté. La création à partir de rien, cela signifie que Dieu agit sans cause, qu’il effectue son oeuvre magistrale avec rien : avec son Néant, Dieu n’est pas une cause du monde, mais une non-cause – quand nous ne pouvons pas expliquer quelque chose de la Nature avec une autre chose de la Nature, nous sommes proches d’un Néant, et ainsi rien n’est expliqué, ni absolument ni relativement) – quel bavardage ridicule il y a dans cette explication absolue, et précisément commence à poindre le penser ordinaire éveillant  à un certain cercle de choses. Dès que filtra la vraie notion de cause, fut-ce seulement dans l’application à certains domaines, le bon Dieu trébucha, et boum tomba du ciel de l’imbécillité – le proverbe dit maintenant : ce qui tombe du ciel ne nuit à personne.

 

Ceci aurait été de la plus grande utilité, si un grand profit et une amélioration avaient été possibles sur la durée, si la loi de la conservation de l’énergie n’était pas aussi celle d’après laquelle l’énergie de l’imbécillité et de la superstition reste toujours la même parmi les humains, et si à l’éclaircie d’hier ne succédait pas un aveuglement.       

 

A SUIVRE...

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