La doctrine du mouvement chez Platon

Publié le par Sylvain Saint-Martory

PLATON a reçu d’Héraclite la doctrine du mouvement, et rien n’est plus faux que l’opinion habituelle faisant de lui l’adversaire le plus acharné de cette doctrine. Il est exact que Platon, en tant que philosophe, ne veut rien savoir de la doctrine du mouvement dans sa philosophie, pas plus qu’aucun autre philosophe ne veut en entendre parler, puisque la doctrine du mouvement relève du penser de l’entendement pratique. Ici toutefois, il la reconnaît comme entièrement valable, ainsi que le penser spirituel vaut dans sa sphère.

Platon est aussi peu opposé à la doctrine du mouvement que le penser spirituel absolu est en opposition au penser relatif de l’entendement pratique. J’ai juste besoin de rappeler les remarques valables sur la distinction entre les deux facultés, qui apporte pour nous clarté et unité achevée dans le penser des penseurs. Platon entend  maintenir séparées les deux facultés du penser, l’entendement pratique et l’Esprit, et quiconque comprend pareillement sait que « être » ou réalité absolue est le mot de la philosophie, tandis que « devenir » ou réalité relative est le mot de la science de l’entendement pratique ; il sait ce que l’être et le devenir ou mouvement doivent signifier chez tous les penseurs, et donc pas moins chez Platon.

Celui-là pourra le suivre quand Platon combat, de la manière la plus vive et la plus rigoureuse, le principe du mouvement comme principe philosophique, et il saura discerner quand il n’a plus devant lui le Platon de la philosophie des Idées, mais le Platon de la vision du monde avec ses idées platoniciennes sur la relativité du monde de l’expérience, qui concordent entièrement avec la doctrine du mouvement, et universellement avec son concept suprême. Platon a compris la doctrine du mouvement, quoique et parce qu’il la comprenait dans sa signification relative, car il possédait la connaissance de la vérité absolue, « qui se comporte pour l’opinion comme l’être par rapport au changement » (Timée, 303)

 

Afin de se convaincre que Platon a compris quelque chose de la physique et de la doctrine du mouvement, de l’unité de la Nature et de la conservation de la matière et de l’énergie, il faut d’abord citer un passage des Eikotés Mythoï du Timée. Il parle là de la difficulté à discourir sur la force et la nature, qui reviennent au principe du Tout. « Il doit être apte à admettre en lui et à alimenter toute émergence. Ceci est très exactement dit, mais il faut l’exprimer encore plus clairement. C’est toutefois une entreprise laborieuse, dans la mesure où pour la mener à bien il faudrait d’abord faire des recherches sur le feu et les autres éléments et examiner dans chaque cas pourquoi, par exemple, lui et pas autre chose est appelé feu plutôt qu’eau, et tel autre désigné ainsi plutôt qu’autrement.

C’est difficile de donner avec des mots une explication crédible et sûre de toutes ces choses. Comment devons-nous les définir de la manière la plus vraisemblable ? Tout d’abord nous voyons, tout comme nous le croyons, la chose appelée eau, à cet instant, devenir pierres et terre en se condensant, mais devenir souffle et air,
lorsqu’elle est
diluée et dilatée, et l’air embrasé devenir du feu. A son tour le feu comprimé et stabilisé se transforme en air, mais l’air compressé et condensé se transforme en brouillard et nuages ;  si ceux-ci sont encore davantage comprimés, alors il tombe de l’eau, d’où proviendront à nouveau de la terre et des pierres. Et ainsi apparaît pour nous un cycle, qui contient en lui sa régénération et sa durée. Pour ces raisons personne n’aura l’audace d’affirmer de ces choses, qui n’apparaissent jamais sous la même forme, qu’elles seraient seulement ceci et rien d’autre.

Le plus sûr que nous puissions décréter est ce qui suit. Ce que nous voyons se transformer sans cesse, le feu par exemple, nous ne devons pas l’appeler ainsi, mais toujours seulement quelque chose de ce genre ; et de même pour l’eau, nous devons dire quelque chose de ce genre. Nous ne pouvons rien considérer comme fixe et invariable, au point de désigner quoi que ce soit par un terme spécifique, ainsi que nous le faisons souvent, en vue de donner à une chose une définition claire ; ces choses, en effet, sont instables et ne supportent pas la désignation : ceci, de ceci, à ceci, ni toutes ces caractéristiques inchangeables, par lesquelles le langage exprime ce qui est constamment le même.

Aucune de ces choses ne devrait être exprimée de cette manière, en tant que toujours la même, mais serait plutôt à désigner comme étant quelque chose de ce genre constamment ballotté, aussi bien dans chacune en particulier que dans toutes. Et ainsi le feu, comme tout ce qui a une provenance, doit être absolument désigné comme quelque chose de ce genre. Mais seul ce quid, d’où chacune de ces choses semble provenir, et où elle paraît se dissoudre, peut être dénommé sous les désignations habituelles de : ceci ou cela.

Aucune de ces choses, qu’elle soit chaude ou blanche, ou quelque chose d’autre, qu’elle supporte un contraire ou en provienne, ne peut être dite ce qui est toujours le même. Nous entendons toutefois rendre notre point de vue plus compréhensible. Si quelqu’un voulait donner à de l’or toutes sortes de formes, en changeant sans cesse chacune d’elles en d’autres formes, en désigner une et demander ce que c’est, la réponse la plus certaine et la plus conforme à la vérité serait : c’est de l’or. Il n’est pas possible toutefois de désigner le triangle, ou d’autres figures qui proviendraient de l’or, comme étant ce qui reste constamment le même, puisqu’ils changent à nouveau durant cette désignation.

Il est donc suffisant d’admettre avec conviction qu’il s’agit de quelque chose de ce genre. C’est la même relation avec la nature, qui contient en elle tous les corps. Celle-ci doit être désignée comme ce qui est éternellement pareil à soi-même, et ne produit absolument rien par sa propre force : en effet, elle reçoit continuellement en soi toutes les choses, sans jamais revêtir  une forme durable, qui ressemblerait à l’une des choses saisies en elle ou en provenant. Malléable, elle est à la base de tout devenir, elle est mue
et façonnée par les choses en son sein, et semble se transformer en conséquence. La Mère de toutes les formes est différente d’elles, elle n’est pas visible, elle est sans forme et elle contient tout ; ni feu ni air, ni terre ni eau, la  Mère de tout le visible et sensible, qui se produit, n’est pas un feu ni rien de ce, dont nous affirmons un être durable, à savoir quelque chose en soi et pour soi. L’entendement le sait, mais les sens ne le perçoivent pas. « Tous les humains sont partie prenante de la croyance (à travers l’apparence sensible), alors que les dieux et de rares individus
parmi l’espèce humaine participent de l’entendement. »

 

A SUIVRE…  

 

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R
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G
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