Le penser conceptuel : un enchaînement de concepts

Publié le par Sylvain Saint-Martory

 
Les représentations et les concepts se comportent entre eux comme le vocabulaire et la syntaxe dans le langage. Le mot n’est rien par lui-même et il ne vaut que dans la phrase, car seules l’association et la mise en relation donnent du sens. Des choses particulières, nous ne saisissons que ce qui est clair dans le penser conceptuel abstrait, et celui-ci les saisit sous l’angle de l’universel ; la conscience se trouve seulement dans l’universalité du penser, autrement dit dans les notions universelles.
 
De même qu’une image ne peut pas être pensée isolément, car les choses résultent seulement de la fusion des images représentatives, une chose singulière ne peut pas être pensée de façon isolée. Elle est toujours pensée seulement dans le cadre du genre, puis celui-ci à son tour en liaison avec d’autres genres, et ainsi de suite.
 
Tout le penser est un véritable enchaînement, un enchaînement dans le souvenir de l’abstraction et un enchaînement dans la mémoire en général. Le souvenir n’est possible que parce que nulle chose n’est pensée de façon isolée, mais chacune avec des représentations voisines qui ont un intérêt commun dans le souvenir, tel qu’une représentation évoque l’autre par association d’idées. De même il y a un  enchaînement entre les concepts abstraits du penser de l’unité de choses, et c’est uniquement parce que l’image singulière entre dans cet enchaînement des images qu’elle pénètre dans le penser.
 
Dans leur association, telles qu’elles ont été éveillées dés le début par les images singulières, toutes les images générales des concepts remontent à la mémoire, défilent, émergent, l’une après l’autre, de l’obscurité de la non-conscience et y retournent. Dans ce va et vient, au moment de sa clarté, chacune accueille en elle toute image singulière, jusqu’à ce que celle-ci, par ce continuel passage de bas en haut, soit accueillie dans la totalité du souvenir abstrait et paraisse intégrée au tout de la conscience. De cette manière, on devrait pouvoir saisir clairement ce que signifie le fait de penser des images ou l’expérience dans les concepts.
 
En effet, à travers les images générales des concepts, les images des choses particulières deviennent compréhensibles, elles sont pensées et mises en relation. Si les concepts étaient sans images, ils ne seraient pas du contenu pensé, du contenu en images, ils seraient un néant qui ne saurait mettre en relation une seule image de choses particulières. Seule n’est pas en images la forme du penser, grâce auquel les images des choses particulières deviennent conscientes dans les images des concepts.
 
Penser de manière conceptuelle ne signifie jamais autre chose que penser des images. A ce sujet, nous parlons de rendre un concept perceptible ou figuratif, mais cela ne veut pas dire insérer au choix n’importe quelle image dans le néant sans images du concept ; cela signifie, et ne peut signifier rien d’autre, que l’obligation de se souvenir que le concept est en images et rappeler en lui l’image sous-jacente.
 
Dans la plupart des cas, la grande majorité ne pense pas du tout l’image singulière dans des concepts véritables, mais en relation avec d’autres images particulières, et ainsi les autres images singulières leur servent d’exemples en lieu et place des concepts. Elles leur sont utiles comme les concepts, mais pas pour parvenir à un penser aussi achevé que cela est possible à l’aide des images des concepts ; toutefois, dans ce penser inachevé de même genre, il ne s’agit également de rien d’autre que d’un penser en concepts, c’est-à-dire de mettre en relation l’image particulière à penser avec les images en mémoire.
 
Seul un petit nombre parvient à penser véritablement en concepts, et c’est uniquement le cas des penseurs, qui – comme les artistes, mais d’une autre manière – possèdent la représentation et la sensation la plus vive du réel, du réel dans sa totalité, parce qu’ils se savent en rapport avec chaque chose comme avec le Tout. C’est pourquoi, ils peuvent constamment penser dans les concepts les plus élevés et dans l’enchaînement le plus général, sans défaillance et avec une ardeur renouvelée, de manière intensément active, intrépide, régulière et décidée, toute la richesse des idées dans sa totalité d’images représentatives, le tout dans l’ordre et la relation.
 
Par contre, les individus n’ont généralement des concepts que les mots, mais des images réelles dans peu de concepts seulement. Dans les concepts les plus élevés et les plus importants, ils ont seulement des images obscures, erronées, totalement inadéquates, voire pas d’image du tout. En conséquence, ils ne sont pas en mesure d’opérer réellement avec les concepts et ils sont incapables, au sens propre du mot, de penser réellement. A proprement parler, en effet, seul est correct le penser où tout est adéquat jusqu’à la fin, et où les détails s’assemblent minutieusement de fond en comble dans l’enchaînement significatif du Tout-Un. 
Extrêmement rares sont les individus capables du penser réellement abstrait et fructueux, c’est-à-dire du penser qui englobe la totalité de l’expérience des représentations. La foule n’en est pas capable, mais au contraire, elle est plutôt apte et contrainte aux idées de néant, qui perturberaient et détruiraient la réalité de leur vie et finalement les feraient sombrer complètement dans la superstition, s’il n’y avait pas les penseurs pour apporter leurs pensées et éviter le pire, à savoir que les idées de néant et les mots sans contenu dominent et sévissent exclusivement en eux. 
 
Ces idées du néant sont inspirées par la superstition latente en eux, car la superstition n’est pas autre chose que notre penser du néant. C’est pourquoi examiner ce néant est aussi important pour nous qu’examiner la chose ou quelque chose, car nous pouvons ainsi nous tenir à l’écart du néant et nous ancrer fermement avec notre penser dans la vérité des choses. Il n’y a rien de plus utile que d’éliminer le pseudo-concept de néant ; néant est le petit mot le plus dangereux du penser. Pourtant, dans tous les coins et recoins du penser populaire, des fantômes nous narguent, et nous rencontrons partout le néant, le néant qui est pensé comme étant quelque chose.
 
Or, nous pouvons penser uniquement des choses, mais pas le néant ; nous pensons seulement la réalité des images représentatives, qui sont le contenu de notre penser, soit comme représentations en images de choses singulières, soit comme images représentatives des concepts. Dans notre penser de l’unité des choses, aucun néant ne doit intervenir.  C’est pourquoi nous devons parler encore du néant, et y pourchasser immédiatement deux des plus importants fantômes du néant, à savoir le temps et l’espace, afin de nous en tenir éloignés.

[Brunner, Doctrine de ceux de l'Esprit et les Autres]
 
 
 
 

 

Pour être informé des derniers articles, inscrivez vous :
Commenter cet article
R
Very good, look forward to view your other articles.
Répondre
O
Keep up your good work With, I would come back to you.
Répondre
R
The post is written in very a good manner and it entails much useful information for me. I am happy to find your distinguished way of writing the post.
Répondre