Expérience première ou choses

Publié le par Sylvain Saint-Martory

                  
Les représentations en images diffèrent du penser, de notre penser structurel car, en tant que matériau directement disponible et unique matériau accessible, elles constituent les objets de la totalité de ce penser
 
Ces images représentatives sont confrontées au penser, soit directement, soit dans la mémoire, comme étant des réalités auxquelles nous relions nos sensations, et c’est pourquoi nous leur attribuons une réalité différente selon les diverses sensations qui nous affectent (cf. la perception des couleurs chez un daltonien).
 
Seules ces représentations en images, choses et processus de choses, constituent ce qui peut être pensé dans le « penser pratique ». Elles en sont le contenu unique, à la fois comme perception directe de leur existence, ou choses, et comme conscience dans la mémoire. Toutefois, elles sont également le seul contenu du penser abstrait,  à savoir celui de la mise en relation conceptuelle des représentations conservées en mémoire.
 
Si les concepts sont pensés seulement grâce à la mémoire, ils ne sont pas produits par la mémoire et ils ne doivent pas être tirés de l’expérience des choses représentées. Les concepts ne sont pas tirés des images des choses, et inversement ils ne sont pas l’élément premier d’où proviendraient les images des choses. Tous les deux, concepts et images des choses, existent en même temps et nécessairement pour qu’il y ait le penser .
 
Concepts et images des choses ne font qu’UN ; ils ne s’opposent pas au prétexte d’être des images dans les représentations et d’être sans images dans les concepts : même les concepts sont des « représentations en images ». Les images des choses sont pensées en images conceptuelles mémorisables et ne sont rien sans elles, de même que les concepts ne sont rien sans les images des choses. 
 
Par « concept », Brunner entend autre chose que les scolastiques, Kant en particulier, car, pour lui les concepts sont « en images ». Toutefois, il exprime son point de vue dans la propre terminologie scolastique, lorsqu’il affirme que les universaux (concepts d’espèces et de genres) n’existent pas avant l’expérience des choses, ni après elle, c’est-à-dire qu’ils seraient tirés d’elle : pour Brunner, les universaux existent avec l’expérience des choses, ils se forment au contact des choses. 
 
Mais d’où viennent ces concepts dans lesquels les images des choses sont pensées, s’ils ne proviennent pas de notre expérience des choses, et s’ils ne sont en aucun cas des souvenirs de notre expérience sensorielle, bien qu’ils soient pensés dans la mémoire ? 
 
La réponse tient à l’organisation du penser abstrait, lequel ne se forme pas à partir de l’expérience sensorielle de représentations en images, même s’il est possible d’avoir une idée claire de son organisation en se le représentant « comme s’il se formait » à partir de notre expérience sensorielle des choses.
 
En revanche, prétendre que les concepts seraient une parfaite abstraction (cf. constructions auxiliaires), et donc sans images – contrairement aux représentations de l’expérience sensorielle -, est une absurdité. Kant parle des concepts comme étant totalement différents des représentations, et de ce fait sans images. Il oppose les concepts aux images et parle même de concepts « extra-purs », c’est-à-dire de concepts « extra-vides » d’images et n’étant rien d’autre que les simples « conditions a priori » pour de possibles images de l’expérience. 
 
Pour Brunner, les concepts, dans lesquels sont pensées les images des choses, contiennent également des images. Tout penser est effectivement en images, puisqu’il est le penser d’un « contenu pensé  »,  lequel est en images ; toutefois, il ne faut pas confondre ce qui est pensé, le contenu pensé, avec le penser qui le pense. Bien entendu, le penser, en tant que forme ou manière d’organiser du contenu pensé, est lui-même sans images. Le penser ne se pense pas lui-même, mais il pense autre chose, il pense des choses, rien d’autre que les choses.  Nous ne connaissons pas le penser en tant que tel, mais seulement du « pensé  » en images et les concepts, qui sont aussi sont du pensé en images.
 
Le concept amalgame entre elles une multiplicité d’images, il est une fusion d’images ou représentations, à vrai dire dans la mémoire, puisque la combinaison d’images ne peut avoir lieu que dans la mémoire. Le concept est donc un contenu pensé en mémoire, un contenu pensé en images, mais il n’est pas lui-même le penser. Autrement dit, en tant qu’unité d’une multiplicité de représentations, le concept fait entièrement partie du domaine de la représentation, et représentation signifie toujours ici ce qui est représenté ; les concepts sont du contenu du penser. 
 
Le penser n’est rien d’autre qu’un penser de représentations, c’est-à-dire d’objets représentés; en tant que simple conscience de ce qui est représenté, il opère vis-à-vis de ceci comme le miroir par rapport aux diverses images changeantes réfléchies en lui. Ce qui est habituellement appelé le penser abstrait, devrait être nommé en réalité le penser de l’abstrait.
 
Cependant, le concept ou contenu pensé en mémoire ne consiste pas en une sorte d’abstraction à peu près parfaite de toutes les représentations en images, si bien que les concepts seraient un penser sans images ; il consiste en une abstraction des nombreuses représentations caractéristiques, et en la réflexion sur les caractéristiques particulières, notamment sur celles de ressemblance et d’essentiel qui constituent l’universalité des représentations dans les concepts.
 
Il reste désormais à examiner, à partir de nos images représentatives, comment s’opère l’abstraction et la sélection dans les concepts.  
 
 
 
 
 

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