Substance, attributs et modes

Publié le par Sylvain Saint-Martory

                               
 
 
Par « Attribut », Spinoza entend « ce que l’entendement perçoit de la substance comme constituant son essence » [cf. Définition IV, Éthique I]. Pour éclairer cette définition, le philosophe juif allemand Constantin Brunner (1862-1937) s’appuie sur la proposition spinoziste « omnia animata quamvis diversis gradibus », qu’il exprime sans ambiguïté de la façon suivante : « TOUT PENSE », mais « pas à la manière dont pense l’entendement humain ».
 
TOUT PENSE (omnia animata), d’une infinité de manières, dans une infinité de degrés de penser (quamvis diversis gradibus) !
 
 
C’est l’un des péchés capitaux de l’entendement humain de « croire » que seul l’homme pense, même si l’époque semble revenue de cette illusion - du moins, pour des espèces animales proches de la nôtre. Toutefois, cela n’empêche pas pour autant les humains de croire que les mondes perçus par d’autres entendements que le nôtre seraient semblables au nôtre, c’est-à-dire tel qu’il est saisi par notre entendement spécifique humain [Penser conceptuel de l’expérience des sens ou imaginatio spinoziste, et penser des abstractions, scientifiques en particulier, ou ratio.
 
Faire penser d’autres entendements (celui du chat et du chien, par exemple) à la manière humaine, c’est tomber dans le péché d’anthropomorphisme, dès lors que l’on croit que le monde perçu par tel ou tel entendement particulier, différent du nôtre, est identique à notre monde humain. Ainsi « notre » Soleil, par exemple, même s'il semble réchauffer aussi le chat, n'est pas  perçu, de manière rigoureusement identique, par un entendement de chat constitué différemment du nôtre, ne serait-ce que par un appareil sensoriel dissemblable. 
 
La relation entre chaque entendement particulier et « son » monde spécifique est exprimée sans ambiguïté par Spinoza dans la proposition VII de l’Éthique II, où il écrit :
 
« L’ordre et la connexion des idées sont identiques à l’ordre et à la connexion des choses. ».
 
Ainsi en est-il de notre monde humain avec ses choses particulières, dont nous-mêmes, pensé par notre entendement spécifique humain. Toutefois, notre monde étendu n’est ce qu’il est que pour nous les humains, dans sa relation à notre entendement humain. En dehors de celui-ci, notre monde n’est « rien » : il n’a pas de réalité pour l’infinité des entendements infinis, dont chacun pense seulement « son » monde spécifique « relatif » à son entendement. Ainsi le chat pense un monde « relatif » à son entendement de chat, de même que le chien pense un monde « relatif » à son entendement du chien ; et ainsi de suite à l’infini des relativités ou « Attributs » infinis…
 
En résumé, du fait que « tout pense », l’identité entre un entendement spécifique et « son » monde particulier pensé ne vaut pas seulement pour l’entendement humain et son monde des choses humaines, mais pour l’infinité des entendements infinis. En conséquence, chaque « genre » ou « espèce » spécifique, autre que l’espèce humaine, possède sa façon propre de percevoir son monde particulier « relatif », c’est-à-dire en relation à son seul entendement caractéristique.
 
Dans notre monde comme dans l’infinité des mondes infinis coexistant avec le nôtre, les modes ou choses particulières sont les individualités considérées uniment sous l’angle de l’étendue (extensio) et de la pensée (cogitatio)
 
Les modes participent de leur Attribut spécifique, infini seulement en son genre - et pas « absolument » infini ! Dans n’importe lequel des attributs se rencontre l’identité entre l’ordre des choses et l’ordre des idées, même si nous ne pouvons, et ne pourrons jamais, affirmer quoi que ce soit de l’infinité des autres attributs infinis en leur genre, qui sont, tous, la façon dont chaque entendement perçoit la Substance…
 
Entre les modes d’un même attribut, il n'y a pas de différence de nature, mais seulement des différences de degré. Ainsi tous les humains sans exception sont-ils dotés de la même nature humaine qui les distingue, extérieurement et intérieurement, d’un cheval, d’une abeille, etc., etc., bien que certains nient cette évidente réalité de nature humaine. En revanche, des différences de degré perceptibles de l’extérieur existent entre les humains, comme il y en assurément aussi sur le plan intérieur.
 
Ce que Spinoza nomme « Dieu » ou Substance, et que Brunner appelle le Pensant ou Penser absolu sans représentations, à savoir l’UN absolu, éternel, infini, parfait et immuable, constitue notre essence dans la mesure où ce quid absolu et éternel « inspire » l’infinité des attributs avec leur monde spécifique « relatif » à leur entendement particulier.
 
De ce fait, la relation entre la Substance et notre Attribut, comme il en va pour tous les autre Attributs, n’est pas à prendre comme une relation de transcendance, telle que l’exprime la superstition religieuse avec son triple Dieu monothéiste, la superstition idéaliste ou spiritualiste de Descartes ou Kant, en particulier, et la superstition matérialiste, depuis le primus motor d’Aristote jusqu’au scientisme contemporain avec son big bang.
 
L’exacte relation, sans mystère et sans contradiction, entre la Substance et les Attributs est une relation d’immanence entre le Pensant ou Penser absolu et le pensé, à savoir le contenu pensé dans et sur (à propos de) notre monde, comme en témoignent nos idéaux éternels du Vrai, du Beau et du Bon.
 
D’où nous viendraient-ils, sinon ? De « rien », dès lors qu’ont été rejetées les croyances superstitieuses dénoncées ? Certes, mais de « rien », peut-il sortir quelque chose, hormis pour un magicien faisant croire qu’un lapin sort de son chapeau où il n’y avait rienen apparence, du moins ? En conséquence, d’où le big bang, par exemple, est-il sorti..? !
 
 
 
 
 
 
 

Publié dans PHILOSOPHIE

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