Les mystères du temps

Publié le par Sylvain Saint-Martory


Fort opportunément, je viens de découvrir dans mes archives du
nouvel Observateur, n°1995,
semaine du jeudi 30 janvier 2003, un article amenant à merveille la conception de Constantin Brunner sur le temps , lequel est explicable par les seuls « changements de juxtaposition » des choses de notre monde.
 
L’auteur de l’article expose ci-après diverses conceptions du temps de saint Augustin à nos jours :

« Les physiciens savent aujourd’hui mesurer l’écoulement du temps avec une précision hallucinante. Mais ils sont toujours incapables de dire si ce qu’ils mesurent est une réalité ou une simple illusion.

La question passionne les philosophes depuis toujours, et les physiciens depuis Galilée: qu’est-ce que le temps? Tandis que tous les autres (nous, les non-philosophes et non-physiciens) se résignent à vieillir sans comprendre pourquoi de nombreux scientifiques s’acharnent à améliorer la mesure du temps, au point de lui donner une précision hallucinante.
 
Evoquée dans l’un des derniers numéros de la revue « Nature » (16 janvier 2003), l’horloge photonique au mercure, prototype mis au point par Scott Diddams (du National Institute of Standards américain), ne dériverait que de moins de 1 seconde tous les...100 milliards d’années. Puisqu’on sait si bien le quantifier, c’est donc qu’au moins le temps existe?
 
Pas si sûr, car certaines expériences récentes, en physique des particules, laisseraient suggérer qu’il ne possède aucune réalité à l’échelle subatomique. Et pour certains théoriciens le temps ne serait qu’une illusion, liée à la façon irréversible dont nous accumulons les informations dans notre mémoire. «Illusion», Einstein lui-même l’a d’ailleurs écrit: « Pour nous autres physiciens, la distinction entre passé, présent et futur n’est qu’une illusion. » Il est vrai que c’était dans un mot de condoléances destiné à la veuve d’un ami, dans lequel la physique servait de remède contre le chagrin.
 
[Il faut néanmoins rappeler ici qu’Einstein était spinoziste, et Brunner, inconnu de l’auteur, l’héritier spirituel de Spinoza]
 
Alors, le temps? Illusion ou réalité mesurable? Dans un livre passionnant qui vient de paraître, « les Tactiques de Chronos », Etienne Klein, physicien au Commissariat à l’Energie atomique, fait le point sur ce qu’il est possible aujourd’hui d’en dire. Avec érudition et humour, mais sans recourir à la moindre équation, il estime que « certaines équations sont peut-être plus intelligentes que nous », c’est-à-dire qu’elles contiennent des réalités contraires à notre bon sens, donc susceptibles de nous échapper éternellement. Pour Etienne Klein, c’est bien Galilée qui, en 1604, avec sa loi de la chute des corps [un excellent exemple de« changement de juxtaposition »], introduisit le temps – le désormais inévitable facteur t – dans le champ de la physique. Auparavant, l’Univers était immuable et sans âge, mais Galilée a « ouvert les portes de la physique au temps », et a fait de ce dernier une variable mathématique fondamentale, tout comme la distance, la masse ou l’énergie.
 
Or on a beau mesurer le temps avec précision et l’introduire dans toutes sortes de calculs qui donnent des résultats probants, on reste bienincapable de le définir. Le physicien du troisième millénaire n’est pasplus avancé que Pascal, qui éludait la question – sous prétexte que « tous les hommes conçoivent ce qu’on veut dire en parlant du temps, sans qu’on le désigne davantage ». Pas plus avancé non plus que saintAugustin « Quand on ne me le demande pas, je sais ce qu’est le temps; quand on me le demande, je ne le sais plus ».
 
Etienne Klein lui non plus ne sait pas ce qu’est le temps, « invisible même aux rayons X, et qui ne daigne jamais se livrer comme un objet empirique ». Mais il sait ce que le temps n’est pas: il faut se garder de « l'identifier aux phénomènes qu’il contient », ou de « lui attribuer les processus dont il permet le déploiement ». Une horloge arrêtée continue d’être soumise au temps. Lequel ne « passe » pas, « car c’est la réalité tout entière qui passe, et non le temps lui-même, qui ne cesse jamais d’être là ».
 
Ainsi, en matière de temps, « l'horloge n’est pas parlante et la montre... ne montre rien ». Si, selon l’image traditionnelle, le temps s’écoule comme un fleuve, alors qu’est-ce qui le fait couler? Et ses berges, fixes, échapperaient au temps? Enfin, que dire de sa vitesse d’écoulement, puisqu’une vitesse se calcule... par rapport au temps? Pour montrer qu’on ne peut pas s’en sortir, le physicien du CEA va jusqu’à la contrepèterie: « Le mot temps n’est qu’un manteau »...

Ce que dissimule le manteau n’en constitue pas moins une réalité. Pour Etienne Klein, le sacro-saint principe de causalité (la cause précède l’effet) assigne à la flèche du temps un sens unique. C’est à partir de ce principe que fut prédite l’existence des particules d’antimatière, lesquelles furent ensuite effectivement détectées. «Ainsi, l’apparition des énergies négatives dans les équations ne manifestait finalement rien d’autre qu’une impossibilité: celle de voyager dans le temps.» Ce qui annihile tout espoir de réaliser la fameuse machine à remonter le temps. D’ailleurs, si elle devait être fabriquée un jour, nous aurions forcément déjà eu l’occasion de la voir – car on n’imagine pas ses heureux possesseurs du futur résister à l’envie de s’en servir pour nous rendre visite... «Alors, pourquoi n’est-elle pas déjà là?», demande Etienne Klein, qui ne semble pas avoir entendu parler des soucoupes volantes...

Donc le temps – même si on ne sait pas ce que c’est,
même s’il n’est pas plus responsable de nos rides que de l’effondrement des vieilles galaxies – ne revient jamais en arrière. Pourtant, depuis Einstein, la science nous a appris que le concept de simultanéité est vide de sens. Car « ce qui nous est présent à un certain instant n’existe plus, ou pas encore, pour un observateur en déplacement par rapport à nous ». D’où l’impossibilité de définir un «instant présent», réunissant tous les phénomènes concomitants de l’Univers – ce qui affecte le temps d’une sorte d’élasticité cosmique, et brouille un peu plus sa mystérieuse nature. Quant à l’origine du temps – A-t-il commencé avec l’Univers? Ou bien existait-il avant? En somme, qu’y avait-il avant le temps? –, on n’en sait toujours rien.
 
« Comment le temps s’est-il mis en route? Qui lui a donné la chiquenaude initiale? Est-il dans le monde ou le contient-il? »... Ces interrogations d’Etienne Klein montrent qu’en 2003 les cosmologistes les plus pointus se posent toujours les mêmes questions que saint Augustinvoici quinze siècles. Toutefois, l’auteur des «Tactiques de Chronos» ne désespère pas de voir un jour la physique débusquer le « petit moteur » qui, telle la gravité dans l’écoulement d’un fleuve, actionne le cours du temps.
 
Peut-être s’agit-il de l’expansion de l’Univers? Ou bien d’un pur effet de notre perception, qui organiserait le fil du temps à partir d’un stock d’instants passés, présents et futurs, qui coexistent? Par ailleurs, la théorie des supercordes, qui s’efforce de concilier mécanique quantique et relativité générale, permettrait d’imaginer que, tel l’espace, le temps possède... plusieurs dimensions. Bref, nous ne sommes pas au bout de nos surprises. Etienne Klein n’exclut pas que, parmi d’autres grandes questions, celle de la vraie «nature du temps» soit un jour élucidée par la physique. Mais, il ne nous le cache pas, cela prendra... du temps.
 
[Ce serait pourtant tellement plus simple d’admettre que la Science n’apportera jamais que des « vérités relatives », et de s’en remettre par conséquent aux grands penseurs universels de l’Absolu, de LA Vérité absolue - celle qui n’est pas de ce monde ! Cela éviterait au moins d’être frustré , comme il en va dans la superstition idéologique, à l’idée de ne plus être là pour connaître LA Vérité potentiellement absolue espérée, et vainement - mensongèrement - promise par la Science !]

Les défauts de présentation constatés sont toujours indépendants de ma volonté.

Publié dans PHILOSOPHIE

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