Spinozisme : la théorie et la pratique !

Publié le par Sylvain Saint-Martory

Le 15 juillet 2007

Objet :
« Question en suspens »
 
 
Monsieur Pierre-François Moreau
Ecole normale supérieure de Lyon
46, allée d’Italie
69634 Lyon Cedex 07
Fax : 04 72 72 80 80
 
 
Monsieur,
 
 
Votre entretien accordé à l’hebdomadaire Le Point (N° 1817 du 11 juillet 2007), suite à l’article de Roger-Pol Droit sur Spinoza, me donne l’occasion de vous rappeler la correspondance épisodique échangée entre le 18 juin 1993 et le 8 janvier 2001.
 
Dans ce courrier, et notamment dans mes lettres des 6 février 1998 et 9 octobre 2000, je n’ai eu de cesse de réfuter votre accusation d’intolérance, là où je démontre qu’il y a « incompatibilité » totale entre la pensée philosophique de Spinoza et les dogmes de la religion, toutes religions confondues - monothéistes ou non.
 
Je vous rappelle brièvement notre controverse, en citant ce bref extrait de votre lettre du 31 janvier 1998 :
 
« L’association des amis de Spinoza est et doit rester ouverte à tous les spinozistes, quels que soient les courants de pensée dont ils se réclament par ailleurs. »
 
D’autre part, dans votre courrier du 18 juin 1993, vous précisiez que l’Association est ouverte aux catholiques, musulmans, protestants, juifs, etc. - « croyants au miracle » de la superstition religieuse ! -,  et aux marxistes - « croyants au miracle » de la superstition idéologique ! C’est pourquoi, en réponse, je me permettais de vous poser la question : «  Pourquoi pas également à ceux de la superstition métaphysique, matérialistes disciples d’Aristote et spiritualistes  cartésiens ou kantiens, entre autres ? » 

Pourquoi pas, en effet, si vous estimez que la « vraie » philosophie de Spinoza avec son Absolu UN, unique, éternel et infini est compatible avec la doctrine matérialiste et la scolastique idéaliste qui le déchirent en « deux » ? Or, l’Absolu est également indivisible, sinon il ne pourrait pas être à la fois infini, puisque chacune des parties limiterait l’autre ?
 
D’autre part, grâce à votre spinozisme, la nécessité ou déterminisme absolu et le libre arbitre seraient enfin réconciliés : de la philosophie à la carte, en quelque sorte !
 
Cette position consistant à penser « tout et son contraire » au nom de l’éclectisme, le vrai et le faux en somme, est indigne d’un véritable philosophe ; et ce d’autant plus que vous avez refusé jusqu’ici de répondre à la question très précise : « Pourquoi Spinoza a-t-il été excommunié, c’est-à-dire chassé de sa communauté comme aucun autre juif avant et après lui, si sa pensée philosophique était réellement compatible avec le Dieu superstitieux des religions en général, et des rabbins en particulier ? »
 
Pour récuser votre accusation sans fondement, je ne peux mieux faire que vous rappeler ce court extrait sans ambiguïté de ma lettre du 6 février 1998 :
 
« Il est tout à fait hors de question pour moi de refuser à quiconque la liberté de philosopher, et tout le monde est a priori le bienvenu chez Spinoza. Toutefois, êtes-vous déjà réellement parvenu à "convertir" au "Dieu" de Spinoza un seul des fidèles religieux évoqués dans votre lettre du 18 juin 1993, au point de renoncer au Dieu de sa superstition chrétienne, musulmane, judaïque, etc. ?
 
Je veux bien vous concéder la possibilité théorique de "conversion" d’un croyant superstitieux, mais je récuse totalement l’idée de la cohabitation du "Dieu" de Spinoza et du Dieu superstitieux dans la pensée d’un seul et même individu ! Ce serait pour moi le signe d’une grave confusion mentale, car ils sont "INCOMPATIBLES" ! ». La dénonciation de la superstition musulmane par Spinoza ainsi que la virulence de ses propos contre Guillaume de Blyenbergh (Lettres XXI et XXII) en sont des illustrations parmi d'autres. » [Fin de citation]
 
L'analyse de votre entretien me conduit à m'interroger sur votre conception du spinozisme, comme l'attestent vos réponses aux diverses interrogations.
 
Ainsi, à la question, « Spinoza est-il spinoziste ? », vous répondez qu’il y aurait plusieurs définitions du spinozisme, et notamment une définition limitée de sa doctrine philosophique. C’est oublier que la « vraie » philosophie, celle démontrée more geometrico par Spinoza, est la voix et la voie de l’Absolu, à savoir ce qui est infini, entre autre : l’infini deviendrait ainsi limité.
 
La « vrai » philosophie, au sens clairement affirmé par Spinoza lui-même, ne saurait servir de caution au contenu relatif pensé dans et sur (à propos de) notre monde, c’est-à-dire lui conférer l’ « absoluité » dans quelque domaine que ce soit, comme vous semblez l’attendre ; et ce, qu’il s’agisse de l’existence de notre monde, des théories et hypothèses à jamais relatives de la Science, y compris les sciences humaines évoquées (psychanalyse, sociologie et économie).
 
Là, c’est tomber dans la confusion des facultés de l’entendement, qui conduit à la Superstition dans ses divers modes d’expression (religion et métaphysique matérialiste ou spiritualiste, mais aussi idéologie et moralisme) ; par « Superstition », comme déjà très largement précisé dans ma lettre du 26 novembre 1997, il faut entendre l’ « absolutisation du relatif », procédé intellectuellement malhonnête consistant à prendre et à faire passer le relatif pour absolu.
 
Relatif et absolu, en effet, constituent deux domaines radicalement distincts de notre penser humain, car relevant de deux facultés ou genres de connaissance différents. L’une, l’entendement pratique [penser en concepts de l’expérience des sens, et penser des abstractions (causalité, par exemple)], pense uniquement le « relatif » de notre monde, alors que l’autre, le penser spirituel, pense l’Absolu ou Esprit véritable qui n’est pas le Saint-Esprit ! 

Le Christ, dans sa Parole non pervertie par la superstition religieuse qui a usurpé son nom, n’entend rien d’autre à travers son propos célèbre : « Mon royaume n’est pas de ce monde » ; pour lui, l’Absolu ou Idéal ne fait pas partie de notre monde où tout est relatif, voire fictivement absolutisé par le penser superstitieux.

A la question « Qui se revendique de Spinoza aujourd'hui ? », vous répondez, à juste titre : des « laïques » ; a priori, en effet, ils sont débarrassés de toute croyance religieuse superstitieuse. C’est dans ce sens, du moins, que j’entends ici le terme, car lorsque vous parlez de « théologiens qui s’inspirent de la pensée de Spinoza pour renouveler leur vision de l'Ecriture » (Sic !), on est en plein délire : Spinoza au secours de la religion ! ! !

Il en va de même pour moi, lorsque « Spinoza apparaît comme l'une des évolutions possibles du cartésianisme » (Sic !), quand on sait que le Dieu de Descartes - ou de Kant - est en tout point identique au Dieu religieux, à savoir un Dieu-Créateur censé disposer d’un prétendu libre arbitre, en vertu duquel il était donc « libre » de créer ou non notre monde !

Enfin, si Spinoza est d’abord vu, en Italie, « comme un penseur politique que l'on confronte à des auteurs comme Machiavel, Hobbes ou Marx », c’est faire bien peu de cas du Chapitre premier (alinéas 1 & 3) du Tractatus politicus, où il renvoie toute doctrine politique  au pays d’Utopie ou au siècle de l’Âge d’or ! C’est pourquoi j’ignorerai délibérément la question : « Le spinozisme est-il de gauche ? », car je la considère comme nulle et non avenue. 
 
A la question « Quel est le point commun des spinozistes ? », vous répondez, entre autre, que le spinozisme est la philosophie de la minorité contre la majorité. Je peux vous suivre sans réserve sur cette voie, à la condition toutefois d’accepter l’idée de Brunner distinguant deux sortes d’humains, à la manière dont des époques très éloignées opposaient les sages et les fous, les réalistes et les rêveurs.
 
Pour Brunner, ainsi que très largement développé dans sa Doctrine, il y a ceux qui sont inspirés par l’Esprit véritable, et ceux qui pensent superstitieusement en confondant le relatif et Absolu : au décompte respectif mondial des uns et des autres, « y a pas photo » pour désigner la minorité ! ! !
 
Dans l’attente de votre réponse à la question en suspens depuis plusieurs années, je reste à votre disposition pour étudier vos éventuelles objections, et en vous remerciant de votre attention, je vous prie d’agréer, Monsieur, mes salutations distinguées.  
[Tout défaut de présentation constaté après la mise en ligne est indépendant de ma volonté]
                                            
 
 

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