La loi fondamentale du penser

Publié le par Sylvain Saint-Martory



Cette loi fondamentale est celle du mouvement. Elle remplace les choses par le mouvement et n'accepte d'aucune manière l'expérience première dans la multiplicité de ses images représentatives, comme étant autant d'objets de son penser. A vrai dire elle les accepte toutes, mais seulement  – après avoir établi ce qu'est réellement l'expérience fondamentale – dans le but de ramener la multiplicité des phénomènes à cette expérience réellement essentielle de l'unité universelle, d’où peut être déduite et expliquée la totale multiplicité du devenir. 

Assurément, a été ainsi ajouté  quelque chose d'autre qui ne se rencontre pas dans l'expérience première, à savoir la validité universelle et la nécessité, que la loi revendique en théorie et en pratique comme étant de son ressort. Ceci émane du penser abstrait qui, comme nous le voyons, se trouve confronté à l'expérience première en sa qualité de quelque chose entièrement autonome. Comme ceci a déjà été suffisamment précisé dans le passage sur les concepts, malgré l'origine étymologique du mot « abstraction », les Abstractions des lois du penser ne sont nullement abstraites de l'expérience première ; leur autonomie ne peut pas être mieux démontrée qu'en faisant remarquer que l'expérience acceptée dans le penser abstrait est le contraire de l'expérience première.
 
Nous allons confronter l'expérience première à la loi fondamentale. L'expérience primaire nous montre les choses comme des choses existantes, c'est-à-dire demeurant inchangées ou du moins persévérant inchangées  dans l'existence pendant plus ou moins longtemps ;  à vrai dire elle nous montre des choses qui paraissent différentes entre elles, et en plus le mouvement des choses ainsi que leur changement et leur transformation. A ce propos, la loi fondamentale dit : tout ceci est expérience confuse des sens, alors que l’entière multiplicité de l'expérience des sens s'avère, dans sa vérité et son essence, être l'unité qui seule est la réelle expérience . Seul le mouvement est l'expérience réelle, et par le mouvement se produit tout ce paraît si hétérogène à l'expérience première. 

Cette expérience première des sens doit céder le pas devant l'expérience scientifique de la loi fondamentale. Ce qui se manifeste à cette vague expérience première est faux : ce qui lui apparaît comme une chose qui ne change pas, voire comme une chose persévérant dans l'existence, fut-ce pour un moment, donc toute la variété infinie des phénomènes de choses aussi bien que tout changement et toute transformation, tout ceci est réel seulement parce que le mouvement est réel ; en réalité, tout ceci est du mouvement, et le mouvement constitue l'essence unitaire de tous les phénomènes.
 
Toutefois, bien entendu, ce qui est réel pour l'expérience première, demeure la réalité pour elle, ce qui signifie : reste réel pour notre vie. Pour l'expérience première, toutes les multiples images représentatives continuent à exister comme autant d'éléments valides, et la pratique du penser conceptuel ordinaire opérant avec des concepts génériques est et demeure ce qu'elle est : la combinaison et la mise en relation de tous ces différents éléments qui apparaissent séparés et ordonnés entre eux en concepts génériques selon leurs caractères relativement essentiels. 

Le penser conceptuel ordinaire n'a rien à faire de la réduction à l'élément unitaire ultime, il s'en tient à l'empirisme de l'expérience première (pour cette raison, les concepts génériques font entièrement partie du domaine de l'expérience première, dans la mesure où ils ont à faire avec elle, avec des images représentatives telles qu'elles lui apparaissent au moyen des sens), et seules sont corrigées ces illusions sensorielles qui s'avèrent des tromperies des sens dans le cadre de cet état d'expérience, comme c’est le cas du bâton qui semble brisé dans l'eau. Toutefois, les abstractions des lois du penser sont tout à fait autre chose que les concepts génériques. Dans l'Abstraction des lois du penser, l'expérience fondamentale toute entière est érigée en tromperie, tout ce qu'elle dit des choses et des processus de choses est entièrement reconnu ici au même titre comme illusion des sens, comme tromperie des sens à l'exemple du phénomène du bâton dans l'eau.
 
A vrai dire, les concepts génériques résultent de la dissolution chaotique des choses de l'expérience première et de la formation de classes de choses d'après la ressemblance essentielle d'appartenance. Cependant, dans la loi fondamentale, toutes les choses sont dissoutes et récusées parce que non-vérité totale ; seul le mouvement est vrai, et donc les choses ne sont pas vraies, puisqu’elles ne sont rien d'autre que l'apparence de non-mouvement. En bref, l'expérience fondamentale toute entière est inversée et subit une curieuse transformation. Ainsi, comme indiqué auparavant, de la même manière que la plus universelle loi fondamentale du penser opère avec l'expérience primaire la plus universelle, toutes les Abstractions des lois du penser opèrent avec l'expérience appropriée à leurs domaines.
 
En fait, c’est une question tout à fait étonnante. Nous ne pouvons et nous ne devons pas passer là-dessus distraitement, comme le font ceux qui savent tellement parler de l'expérience, et de rien d'autre que d'expérience, mais pas en totalité et pas à bon droit. Nous sommes entièrement d'accord avec eux sur le fait que seule l'expérience est valable : l'entendement pratique est le penser de l'expérience, ici le penser n'est rien en soi, et même pas le penser abstrait – très certainement pas. J’admets entièrement avec eux que l'expérience seulement doit avoir une validité : mais je ne suis pas d’accord  sur ce qu'est l'expérience, ni que l'expérience coïncide totalement avec notre expérience fondamentale au moyen de la perception sensorielle.
 
Est-ce que je ne leur attribue pas, peut-être, une affirmation différente de la leur ? Ce sur quoi ils se fondent seulement, est-il bien ce qu’ils voient, entendent, etc., à savoir la perception sensorielle, et bien entendu la perception sensorielle corrigée dans son domaine spécifique ? C’est la même chose que j’appelle l’expérience première. Mais qu’en est-il maintenant de la loi fondamentale du mouvement, que la science suit ? Cette loi fondamentale a pourtant vraisemblablement comme contenu autre chose que l’expérience première, n’en provient assurément pas, n’est même pas une déduction empirique et ne se découvre pas par le calcul ; elle contredit complètement l’expérience première, ne peut jamais être confirmée en elle, s’appuie en outre sur l’hypothétique, non empirique et impossible à expérimenter, construction fictive des atomes, se situe très au-delà de toute règle d’expérience, contraint la totalité de l’expérience à la suivre et décrète une toute autre sorte d’expérience :
 
« Nous, du haut de notre vision d’aujourd’hui, nous suivons la direction de nos perceptions sensorielles -quiconque ne philosophe pas ainsi, ne se trouve pas réellement au sommet de la vision actuelle, sur laquelle il est ainsi philosophé.
»

Or, de la sorte, il n’est pas philosophé de manière adéquate. Par chance assurément, comme déjà souligné précisément ici, il n’est pas du tout vrai que seule l’expérience fondamentale est valable pour la science, mais elle suit la loi qui tire son origine de l’Abstraction du penser et elle lui est redevable de ses résultats.
 
La science n’existe en tout et pour tout que dans le penser conceptuel, à savoir celui de l’expérience à laquelle est appliquée le penser scientifique conceptuel et, dans cette mesure nous pouvons parler de la science empirique, c’est-à-dire la science pour l’expérience, mais absolument pas de science empirique dans le sens de science tirée de l’expérience des sens ou expérience première ; nos physiciens sont très éloignés de la vérité, quand ils prétendent que leurs théories sont déduites des témoignages de l’expérience des sens.
 
 
 
 
 
         
    
 
 
 
 
 
 
                                     
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 

 

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