Le Monde : "J'ACCUSE !" [Partie IV]

Publié le par Sylvain Saint-Martory

Quatrième partie


Je termine par l’examen de la superstition moraliste ou moralisme [Morale et condamnations moralisatrices des « Autres » au nom de LA morale], qui témoigne au suprême degré de la « débilité intellectuelle » de l’époque, comme de toutes celles qui l’ont précédée, ainsi qu’en témoignent l’empoisonnement de Socrate, la crucifixion du Christ, l’envoi au bûcher de Giordano Bruno et l’excommunication de Spinoza. Eux-aussi furent condamnés en leur temps pour des opinions jugées contraires à la bien-pensance de leur époque, au même titre que Jean-Marie Le Pen et Georges Frêche, par exemple, sont livrés aujourd’hui au bûcher médiatique.


La superstition moraliste ne déroge pas à la règle fondamentale de la Superstition, à savoir l’ « absolutisation du relatif », en l’occurrence celle d’opinions forcément relatives, qui se fondent en la matière sur trois fictions légitimant, de manière superstitieuse, tous les jugements de valeur et autres condamnations moralisatrices. Je parle ici de la division manichéenne prétendument « absolue » des humains, du Bien et du Mal soi-disant « absolus », et d’un pseudo « libre arbitre » permettant, paraît-il, de décider et d’agir « absolument », c’est-à-dire selon son seul bon vouloir. Autant de croyances superstitieuses issues uniquement de notre penser superstitieux, et donc sans aucun fondement dans la réalité, mais les humains sont si naïfs, portés qu’ils sont par nature à « croire », à imiter et à répéter, plutôt qu’à penser « vraiment », à réfléchir tout simplement !

 
Sur la première fiction, si vous demandez à quiconque s’il pense qu’il y a distinctement parmi les humains des bons et des méchants, il vous répondra sûrement, au vu de son propre examen intérieur, qu’il n’existe pas les bons, d’un côté, et les méchants, de l’autre - sauf à faire preuve de mauvaise foi en se rangeant soi-même ipso facto dans le camp des bons, ou à témoigner de cécité mentale.

 
L’histoire de la société humaine témoigne que la superstition moraliste distingue bien, en tout temps et en tous lieux, deux catégories d’humains : les bons, les « vertueux », aujourd’hui les antiracistes, et les méchants, les « salauds », les racistes ; sinon, comment justifier les condamnations moralisatrices d’hier et d’aujourd’hui, comme il en sera également demain..? ! La justice ne condamne tout de même pas un « vertueux », sauf en cas d’erreur judiciaire ; mais devant un tribunal des idées, aux ordres des inquisiteurs de toutes les époques, qu'en est-il réellement..? ! En réalité, il n’y a pas les bons et les méchants par nature, il n’y a que des humains égoïstes, qui se conduisent, tantôt en vertueux, tantôt en salaud, au gré des circonstances, et différemment selon l’intensité de la pression de leurs intérêts égoïstes…


Ainsi la superstition moraliste conduit-elle aux pires aberrations intellectuelles, voire philosophiques, dans ses contradictions et dans sa pratique du deux poids, deux mesures. Il en résulte, en effet, que chaque « censeur autoproclamé » condamne moralement l’ « Autre » en lui reprochant ce qu’il a fait hier lui-même, et qu’il refera demain à la première occasion, lorsque ses intérêts de toutes sortes l’exigeront, tout en étant par ailleurs très indulgent pour lui-même et les siens en pareilles circonstances.


Les exemples en sont infinis dans l’Histoire et dans l’actualité la plus brûlante ; cela vaut notamment en matière de colonisation, d’esclavage, d’immigration et de discrimination, à l’origine des plus fréquentes condamnations moralisatrices d’aujourd’hui, comme en témoignent Jean-Marie Le Pen et Georges Frêche. Et pourtant, par exemple, tels, qui dénoncent l’esclavage d’hier, oublient de le condamner dans ses pratiques toujours actuelles en Afrique et/ou en terre d’islam, aujourd’hui ! Vous avez dit « deux poids, deux mesures »..? ! OUI, c’est un exemple parmi une infinité d’autres, où des censeurs autoproclamés reprochent au nom d’un passé révolu ce qu’ils font pourtant eux-mêmes, aujourd’hui, au vu et au su de tous ! ! !

 
Ces considérations générales sur la superstition moraliste, à laquelle Le Monde prête son concours, me permettent de mettre en perspective les propos de Georges Frêche sur la composition de l’équipe de France de football, voire sur les harkis, et le comportement « collaborationniste » avéré de François Mitterrand, par ailleurs partisan affiché de l’Algérie française, en son temps. Tous ces vertueux « censeurs autoproclamés », porte-parole auto-désignés de l’Idéal, ne l’en ont pas moins porté à la présidence de la République pour le servir ensuite fidèlement. C’est le cas précisément de Ségolène Royal, mais ce passé « mitterrandolâtre » ne l’a pas empêchée de réclamer l’exclusion de Georges Frêche pour des propos dont les censeurs refusent de débattre sur le plan intellectuel - c’est tellement plus facile de trancher sur le plan moralisateur superstitieux, où ils décrètent le Bien et le Mal soi-disant « absolus » !


En effet, sur quoi se fonde la condamnation moralisatrice de Georges Frêche ainsi que celle de tous ceux d’hier et d’aujourd’hui déjà évoqués, sinon sur l’absolutisation fictive de Bien et de Mal ? Sauf à vous d’établir le contraire, intellectuellement et philosophiquement, j’affirme que, dans notre monde humain, tout est relatif, et rien n’est absolu ; à commencer par le Bien et le Mal, y compris sur le plan moral – à moins de confondre l’Idéal et le quotidien, l’Absolu et le relatif, la théorie et la pratique !


Les exemples de l’Histoire et de l’actualité sont infinis pour témoigner de la « relativité » de bien et mal, de ce qui est permis ici, mais interdit ailleurs, de ce qui était bien hier, et mal aujourd’hui - ou vice versa ! La période coloniale avec ses condamnations moralisatrices d’aujourd’hui suffit à attester combien il faut manquer totalement de réflexion pour oser admettre officiellement, c’est-à-dire au plus haut sommet de l’Etat et de ses institutions, qu’une quelconque chose humaine, fut-ce la colonisation, pourrait comporter « exclusivement » du négatif, ou a contrario « uniquement » du positif ! En effet, dans un monde où tout est relatif, TOUT présente à la fois du « pour », des avantages, du positif, et du « contre », des inconvénients, du négatif !


Dès lors, de manière plus ou moins consciente, et éventuellement différente selon la pression des circonstances, chacun, quelle que soit sa spécificité, prend toujours position en confrontant les arguments « pour », favorables, et « contre », défavorables, de ses multiples intérêts égoïstes. Il en va ainsi dans le souci général de chacun de vivre le plus longtemps et le mieux possible, et dans sa préoccupation particulière pour ses affaires d’amour, d’argent et de gloire ou honneur-vanité !


Cette confrontation des arguments et des sentiments « pour » et « contre » permet aux uns de déclarer qu’une chose est bonne, et aux autres de la juger mauvaise, sans que cela n’autorise quiconque à la déclarer pour autant « absolument » bonne ou mauvaise. De la sorte, le Bien absolu des uns devient le Mal absolu des autres, au mépris de leur relativité indiscutable ; par ailleurs, le Mal absolu est forcément toujours celui qui nous frappe, puisque nous le ressentons. Il est jugé plus douloureux que celui des Autres,  seulement parce que nous n’en savons rien en réalité, et que nous pouvons seulement tenter de l’imaginer…

 
Philosophiquement parlant, Bien et Mal absolus sont une « impossibilité absolue », puisque l’Absolu ne peut-être qu’UN par définition, et n’admet pas de contraire ; en conséquence, ils n’ont aucune réalité véritable dans leur prétention à s’affirmer absolus ! Il s’agit toujours d’un Bien et d’un Mal seulement « relatifs » mais fictivement absolutisés, c’est-à-dire présentés comme s’ils étaient réellement absolus ! En réalité, il n’y a pas de choses « bonnes ou mauvaises en soi », c’est-à-dire indépendamment de tout jugement de valeur, comme l’exprime ce mot de Spinoza :

« Nous ne désirons pas une chose, parce qu’elle est bonne, mais c’est parce que nous la désirons que nous la jugeons bonne » !

De ce fait, aucune vision du monde et de la France n’est légitimée à se prévaloir d’une validité morale absolue sur quelque question que ce soit, et donc à juger et à condamner moralement les Autres - ceux qui pensent différemment ; la vision de la gauche, plurielle ou divisée, fondée uniquement sur la fallacieuse promesse de « changer le monde », n’y échappe pas davantage que toute autre !

 
C’est pourtant en vertu de cette fiction mensongère que de soi-disant vertueux « censeurs autoproclamés » s’autorisent - tels des petits dieux ! - à prononcer des condamnations moralisatrices absolues, dont ils usent pour s’ « auto-décerner » le prix de la vertu, voire s’en « auto-octroyer » le monopole, en distribuant louanges et blâmes sur la seule base de leur devise favorite : « Je condamne, donc je suis vertueux » - à moins que ce ne soit l’inverse !

 
Toutes les visions du monde et de la France sont seulement relatives, puisqu’elles comportent à la fois du positif et du négatif, qu’il s’agisse du passé colonial de la France, de l’immigration et d’autres questions « taboues » ; autant de questions, sur lesquelles les seuls « bien-pensant(e)s » sont autorisé(e)s aujourd’hui à avoir un avis faisant autorité, et à l’exprimer sans craindre les foudres de « censeurs autoproclamés » : forcément, puisqu’ils sont précisément ces vertueux censeurs, donneurs de leçons de morale aux « Autres ». Ils sont pourtant davantage vertueux en parole qu’en acte, comme cela est très facile à prouver à partir des exemples de ceux qui ont été tirés au sort par la Justice !

 
C’est tellement plus facile, et plus « juteux », de jeter superstitieusement des anathèmes, au nom d’un prétendu Mal absolu « autoproclamé », que d’accepter de participer au seul et unique « véritable » débat d’idées réellement valable ! J’entends par-là celui qui ne consiste pas à opposer des points de vue relatifs et partisans à d’autres, tout aussi relatifs et partisans, mais à les confronter, TOUS sans exception, à LA Vérité éternelle absolue : celle qui permet précisément de distinguer radicalement l’éthique spinoziste, dépourvue de tout jugement moralisateur, de la morale partisane, qui condamne sur la foi de ses catéchismes. Aucun d’entre eux n’a pourtant de validité absolue dans ses commandements ou prescriptions et ses interdits – y compris le catéchisme soi-disant universel contemporain déjà évoqué !

Seule LA Vérité absolue est en mesure, non seulement de mettre un terme définitif à notre pensée du « relatif », mais également de supprimer toutes les contradictions et incohérences inhérentes à la réalité relative du contenu pensé dans et sur (= à propos de) notre monde, par notre penser relatif : le « VRAI » ne peut pas être absolument vrai, dès lors qu’il comporte une seule contradiction ou un point de vue opposé !

                       [A SUIVRE] 

Publié dans COURRIER "Médias"

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