Menaces sur la Terre : Le vrai / le faux

Publié le par Sylvain Saint-Martory

Le nouvel Observateur Semaine du jeudi 26 septembre 2002 - n°1977

Faut-il brûler Lomborg ?

Menaces sur la Terre : Le vrai / le faux

C’est le plus improbable des best-sellers: œuvre du statisticien danois Bjorn Lomborg, «The Skeptical Environmentalist» déclenche la fureur des écologistes et des débats passionnés dans le monde des experts. Sa thèse? On nous trompe: la planète ne va pas si mal. Et il n’y a aucune raison de céder au catastrophisme. Faut-il prendre Lomborg au sérieux? Est-il un provocateur, un agent de Bush, ou celui qui ose dire la vérité? Gérard Petitjean expose les pièces du dossier


Il a une bonne tête, ce blond Danois de 38 ans. Un faux air de Robert Redford jeune. Et bien faite, sa tête: Bjorn Lomborg est professeur de statistiques au département des sciences politiques de l’université d’Aarhus, au Danemark. Et auteur d’un pavé de 500 pages qui fait trembler, parfois de fureur, la planète écolo, ce qui est surprenant de la part d’un type plutôt à gauche, avec un passé de militant chez Greenpeace. Son livre, «The Skeptical Environmentalist» (l’écolo qui doute), s’est déjà vendu à près de 100000 exemplaires dans sa version anglaise, tirage peu fréquent pour un statisticien (Cambridge University Press). Ecrit en danois, il a été traduit en suédois, islandais, allemand, et sera bientôt édité en portugais, italien, japonais... Pas de traduction française en vue, mais il a déjà chez nous de fervents supporters, dont Claude Allègre, ancien directeur de l’Institut de Physique du Globe, qui récemment dans sa chronique de «l’Express» endossait bon nombre des thèses lomborgiennes.

Que disent Lomborg, Allègre et consorts? Que rien ne va aussi mal que ne le disent les prophètes de malheur. Que les cataclysmes démographiques que l’on nous prédit depuis des décennies n’auront sûrement pas lieu; que la population mondiale, bien qu’en expansion, est mieux nourrie qu’avant; que la famine recule; que la pauvreté régresse; que les forêts ne se portent pas si mal; que la biodiversité est bien moins menacée qu’on ne le dit; que la pollution de l’air est plutôt en baisse. Et encore que, même si la Terre devait se réchauffer, ce ne serait pas la fin du monde. Et que plutôt que de se battre contre des moulins à vent – les fameux gaz à effet de serre –, on ferait mieux de s’attaquer à des problèmes autrement plus urgents, comme celui de l’eau. Autant de démonstrations menées à grand renfort de courbes et de statistiques, appuyés sur des chiffres solides, recueillis auprès des plus grands organismes internationaux.

Mais comment donc Lomborg en est-il venu à pourfendre le credo écolo et devenir la bête noire de ses ex-amis de Greenpeace? Il s’en explique dans sa préface. Son chemin de Damas, c’est dans une librairie de Los Angeles qu’il l’a trouvé. Il feuilletait un exemplaire du magazine américain «Wired», dans lequel un économiste américain enseignant à l’Université du Maryland, Julian Simon, racontait que la plupart de nos connaissances sur l’environnement sont fondées sur des préjugés ou des données chiffrées insuffisantes. Que le catastrophisme ambiant n’était pas de mise. Et qu’il suffisait pour s’en convaincre de consulter les statistiques auxquelles tout le monde a accès. Le sang de Lomborg ne fit qu’un tour. Séance tenante, il constitua une équipe de dix de ses étudiants les plus pointus pour réfuter la thèse de Julian Simon. Mais au bout du compte c’est lui, Lomborg, qui dut rendre les armes et abjurer sa foi: notre vieille planète n’allait pas si mal, et contrairement à la croyance générale la situation avait plutôt tendance à s’améliorer.

Et Lomborg de détailler, à grand renfort d’arguments, de notes, de références et de retours sur l’histoire récente. Prenons par exemple, dit-il, cette théorie selon laquelle nous épuisons à grande vitesse les ressources de la planète. Balivernes! Aussi vieille que le monde d’ailleurs: dans l’Antiquité déjà on s’inquiétait de ce que les mines de cuivre et d’étain allaient bientôt être taries. Plus près de nous, dans les années 1970, le défunt Club de Rome affirmait dans «Halte à la croissance» (1972) qu’on ne trouverait plus d’or dès 1981, plus d’argent et de mercure en 1985, plus de zinc en 1990. De même, en 1914, le Bureau des Mines américain annonçait qu’il ne restait plus que dix années de ressources pétrolières. Prédiction régulièrement renouvelée tout au long du siècle… à mesure que la précédente était démentie.

Julian Simon, le maître à penser de Lomborg, avait dénoncé ce catastrophisme et lancé en 1980 un pari: si les ressources deviennent rares, affirmait-il en bon économiste, leurs prix vont grimper en flèche. Je parie, moi, qu’elles sont plus abondantes que jamais et que leurs prix vont baisser. Quatre universitaires de Stanford, spécialistes de l’environnement, relevèrent le défi et prédirent sur dix ans une hausse du chrome, du cuivre, du nickel, de l’étain et du tungstène. Ils ont lamentablement perdu: tout avait baissé, l’étain avait même chuté de 74%. Il en va de même, nous dit Lomborg, de tous les produits: le pétrole comme le coton, le sucre, le café ou les phosphates… Et de prolonger: pour le pétrole, la pénurie annoncée n’est pas pour demain. Parce qu’on a fait des progrès. Il n’y a pas longtemps on fermait un puits tout en sachant qu’il restait 60% du pétrole dans la nappe, parce qu’on ne savait pas l’extraire. Les techniques actuelles permettent d’aller récupérer la moitié de ce pétrole abandonné. Les voitures consomment moins. Même les américaines, qui parcourent 60% de distance de plus par litre d’essence qu’il y a vingt ans. Sur la même période, les chauffages sont devenus plus efficaces, les machines à laver plus économes. Et si un jour on manque de pétrole, on raffinera les schistes bitumineux, qui nous assureront cinq mille ans de consommation au rythme actuel. Toujours en vingt ans, les coûts de production des énergies solaire et éolienne ont baissé respectivement de 94 et 98%. Or il suffirait de couvrir de panneaux solaires 2,6% de la surface du Sahara pour fournir au monde la totalité de l’énergie qu’il consomme actuellement. Etc.

Il est rassurant, Lomborg. Un baume apaisant pour la mauvaise conscience des consommateurs schizophrènes que nous sommes: aussi inquiets pour l’environnement qu’attachés à notre chère voiture. A le lire, nous n’avons pas fait tant de bêtises que ça! Les écolos nous ont raconté des histoires, tenté de nous culpabiliser en nous disant que nous étions en train de tuer la planète, de la rendre invivable pour nos petits-enfants et nous les avons crus! C’est que la machine à (se) faire peur est bien rodée. Elle fonctionne comme un moteur à trois temps, nous explique le Danois: d’abord, l’alarme est donnée par les scientifiques, qui s’intéressent surtout à ce qui va mal. C’est légitime et c’est sage, nous dit Lomborg. Puis, les organisations écolos prennent le relais, et elles ont tout intérêt à exagérer: comme elles sont subventionnées par le public, c’est en révélant des catastrophes – parfois imaginaires – qu’elles gagnent de quoi vivre. Enfin, interviennent les médias, qui vivent sur un principe immuable: les mauvaises nouvelles se vendent mieux que les bonnes. Une conjonction qui aboutit à noircir déraisonnablement notre vision de l’avenir. Et à passer sous silence les bonnes nouvelles.

Prenez la faim dans le monde. Personne ne nie le problème, nous dit Lomborg. Mais le nombre des victimes de la famine ne cesse de diminuer. Selon l’ONU, l’espérance de vie sur la planète est passée de 30 à 67 ans au cours du XXe siècle; la pauvreté a plus régressé au cours du dernier demi-siècle que dans les cinq siècles précédents. Un oiseau de mauvais augure, Paul Ehrlich, eut son heure de gloire en 1968 en annonçant, dans un livre intitulé «The Population Bomb», que, vu l’augmentation prévisible de la population mondiale, la bataille pour nourrir la Terre était perdue d’avance. La famine allait tuer des centaines de millions d’hommes dès les années 1970. Une vision malthusienne que les faits ont heureusement balayée. Le combat n’est pas totalement gagné, notamment dans certaines régions d’Afrique ravagée par les conflits. Mais les statistiques onusiennes montrent qu’à l’échelle de la planète la situation s’améliore. Dans les pays en voie de développement, la ration alimentaire journalière était de 1932 calories en 1961. Elle est passée à 2650 en 1998 et devrait dépasser 3020 calories vers 2030. La preuve que les ressources alimentaires croissent plus vite que la population, note Lomborg, c’est que le prix de la nourriture, calculé par la Banque mondiale, a baissé de 90% depuis 1800. En l’an 2000, les prix étaient plus bas qu’ils ne l’ont jamais été.

D’autres exemples? Prenez la pollution de l’air et de l’eau, la gestion des déchets, la préservation de la forêt tropicale et de la biodiversité: beaucoup reste à faire, mais beaucoup a déjà été fait. Et la situation est bien moins mauvaise qu’on ne le dit. Non, tout ne va pas toujours plus mal. Non, la Terre ne roule pas vers l’abîme. A bas la sinistrose ambiante, qui ne peut que pousser au fatalisme et à la résignation !

Alors les écolos ont-ils tout faux? Faut-il brûler sa carte des Verts et voter Lomborg? La réponse est à nuancer. Tout dépend des chapitres de son livre. Certains, comme ceux qui traitent de la population mondiale ou de la faim dans le monde, sont difficilement réfutables. D’autres – état des forêts tropicales, biodiversité – font pousser de hauts cris aux très éminents spécialistes dont les thèses sont mises en doute. Le débat fait rage dans le cybermonde, où les sites pro et anti-Lomborg s’étripent à grands coups de courbes et de projections. Le chapitre le plus controversé de «The Skeptical Environmentalist» est celui qui traite de l’avenir du climat. Bjorn Lomborg, contrairement à d’autres, ne nie pas le réchauffement. Ce qu’il conteste, c’est la gravité du phénomène, et du même coup la nécessité de lutter contre. La mise en œuvre du protocole de Kyoto, qui fixe aux nations développées des objectifs chiffrés de réduction des émissions des gaz à effet de serre, coûterait cher – 1000 milliards de dollars! –, nous dit Lomborg, pour un résultat maigrichon: un gain de 0,15 °C sur la température moyenne du globe en 2100. Pour ce prix, on pourrait fournir de l’eau potable au monde entier et sauver des millions de vies. Le raisonnement fait sursauter la majorité des experts, qui ne trouvent guère sérieuses les approximations teintées de rose de ce M. Lomborg (lire pp. 22 à 34)

Il n’est pourtant pas isolé, le jeune Danois, et depuis quelque temps on ne compte plus les coups de pied donnés dans la fourmilière verte. C’est même devenu un genre littéraire. Guy Sorman, qui depuis toujours défend et illustre le libéralisme, a publié récemment «le Progrès et ses ennemis» (Fayard), dans lequel lesdits ennemis sont clairement désignés: il s’agit pêle-mêle des «millénaristes verts», des antimondialistes et des conservateurs de tout poil, en particulier les militants anti-OGM. A citer aussi André Fourçans, professeur à l’Essec, dont le livre «Effet de serre, le grand mensonge ?» (Seuil) s’adresse à «ceux qui refusent le prêt à penser sur cette question majeure». Et encore Pierre Kohler, journaliste scientifique, qui dénonce dans «l’Imposture verte» (Albin Michel) une «manipulation de l’opinion à l’échelle planétaire». Toute cette production est inégale, mais elle prouve que le grand débat sur l’environnement ouvert il y a dix ans avec le sommet de Rio est loin d’être clos. Qui s’en plaindra? GÉRARD PETITJEAN

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