Allah, "dans le voisinage" de Spinoza...

Publié le par Sylvain Saint-Martory

Le 5 mars 2006

Objet :
« Allah, dans le voisinage de Spinoza »

Monsieur Abdelwahab Meddeb
Maître de conférence
Structure : UFR LL Phi
Université Paris X Nanterre
Courriel :
Abdelwahab.Meddeb@u-paris10.fr

 Monsieur,


Je ne peux laisser passer sans réagir de façon très critique certains propos de votre article « Islam et Lumières : le rendez-vous manqué » - publié par le nouvel Observateur, n° 2156 du 2 mars 2006 -, en raison de la désinformation-manipulation manifeste de l’opinion, au point que Spinoza lui-même a dû se retourner dans sa tombe, puisque vous écrivez notamment :

« La nouvelle problématique des Lumières est alors perçue en lien avec les analogies sinon les prémisses que la tradition islamique pouvait proposer. Ainsi le "déisme" (sic !) et la tolérance prêchés par la nouvelle Europe ont rencontré l’écho de l’akbarisme, qui structurait l’élite ottomane, arabe et persane. L’akbarisme était la théorie métaphysique et morale extraite des textes écrits par le "théosophe" andalou Ibn Arabi (1165-1240), lequel a diffusé sa conception de l’unicité de l’Être, qui réoriente la croyance islamique vers une forme de "déisme immanentiste" (sic) doublé de relativisme religieux, rendant encore plus systématique le relativisme coranique, en allant jusqu'à accorder crédit et "part de vérité" à toute forme de croyance, fût-elle des plus païennes. Du reste, "le voisinage de ce déisme avec la philosophie de Spinoza" a aidé nombre de ces musulmans éclairés à recevoir le message maçonnique. » (fin de citation)

La lecture de vos propos, dont le pire est de parler de « déisme immanentiste », à propos du Dieu de la superstition musulmane, et de « voisinage de ce déisme avec la philosophie de Spinoza », ferait presque oublier ce que Spinoza écrivait sans ambiguïté à propos de l'islam, dans sa Correspondance (Cf. lettre LXXVI à Albert Burgh) :

« Je connais tout l’avantage de l’ordre politique qu’instaure l’Eglise romaine et que vous louez tant. Je n’en connaîtrais pas de plus apte à duper la foule et à dominer les âmes s’il n’existait l’Eglise musulmane qui, de ce point de vue, l’emporte de loin sur toutes les autres ; depuis l’origine de cette superstition, aucun schisme en effet ne s’est déclaré dans cette Eglise.» (fin de citation)

Spinoza condamne toutes les religions monothéistes, preuve que son « Dieu » ou substance n’a rien à voir avec le Dieu superstitieux des religions et de la scolastique idéaliste des Descartes, Kant et autres « philosopheurs » ; en conséquence, il stigmatise la « superstition » qui enseigne à mépriser la nature et la raison, à admirer et à vénérer seulement ce qui les contredit. (cf. Tractatus theologico-politicus, Chapitre VII, Interprétation de l’Écriture)

Pour en venir aux propos dénoncés, outre que le terme « akbarisme », utilisé à plusieurs reprises dans votre article, ne semble figurer dans aucune encyclopédie de langue française, la « théosophie », cette mixture de religiosité et d’ésotérisme, ne saurait être prise pour la « vraie » philosophie en général, et encore moins pour la philosophie de Spinoza en particulier. Je vous remercie de bien vouloir m’indiquer quel passage spécifique du Coran pourrait laisser à penser qu’Allah, Dieu-Créateur et Juge suprême de la superstition islamique, aurait une quelconque analogie avec le dieu immanentiste, dont vous parlez. Le Dieu des musulmans est ni plus ni moins le même Dieu extra-mondain, créant « ex-nihilo » notre monde humain, comme le sont Yahvé ou le Dieu superstitieux des chrétiens, lequel n’a rien à voir avec ce que le Christ nomme le Père ; seule la perversion de sa Parole en a fait à tort le fondateur d’une religion qui porte son nom.

En revanche, je vous renvoie à la première partie de l’Éthique, où Spinoza démontre more geometrico l’existence « nécessaire » de ce qu’il entend par « Dieu-Substance » : « more geometrico », cela renvoie à notre lumière naturelle ou Raison, et en aucun cas à la Foi ! Certes, vous n’êtes ni le premier ni le dernier à vouloir unir la Foi et la Raison pour nous faire prendre des vessies pour des lanternes ! Je peux citer notamment Catherine Farhi et Josette Allia du nouvel Observateur (Cf. n° 2152 de juillet 2002), qui dénonçaient alors l’essentiel des vices inhérents à la religion musulmane :

« Une religion déviée par la haine, trop longue glaciation du dogme, « intangibilité » des textes, archaïsme du droit musulman, anathèmes sauvages, lapidations de femmes pour adultère, attentats suicides et assassinats en tout genre, archaïsmes du statut de la femme, de l’héritage, du mariage, de l’économie, sans parler des châtiments corporels, du statut de l’étranger et de celui du non-croyant ; autant de propos, confirmés dans le même dossier sur l’islam par Mohamed Charfi, puisqu’il y parlait de la suppression du statut des non-musulmans en pays d’islam, de remise en cause de la peine de mort pour apostasie, du refus de la répudiation et des droits moindres accordés à la femme en matière d’héritage, de l’abolition des châtiments corporels, de flagellation et de main coupée expressément énoncées dans le Coran, de laïcité pure et dure à la française, inapplicable en pays d’islam, etc., etc. » (fin de citation)

J’ajoute sur ce sujet, à titre personnel, comme je l’ai écrit dans un courriel intitulé « Islamophobie », adressé à Noël Mamère, le 20 octobre 2003, dont copie à Jean-Pierre Raffarin ainsi qu'à Mouloud Aounit, et repris partiellement par le nouvel Observateur dans ses colonnes, que l’islam est, et demeure, « totalement incompatible » avec les droits de l’homme, tels qu’affirmés universellement aujourd’hui, aussi longtemps que l’ « islam », encore et toujours anonymement, n’aura pas renoncé publiquement à ses pratiques obscurantistes spécifiques, toujours d’actualité : charia ou ségrégation de la femme, atteinte au principe d’égalité, fatwa, atteinte à la liberté d’expression, appel au djihad, atteinte à la liberté d’opinion, etc. Or, ce n’est pas demain la veille qu’un être humain assistera à la réforme de l’islam, et les « naïfs » attendront encore longtemps l’itchiad qui leur est promise pour la saint Glinglin par de pseudo-réformateurs de l’islam, notamment Malek Chebel et Rachid Benzine, émettant là seulement leurs vœux pieux.

Eux aussi viennent nous parler d’unir la Raison et la Foi pour parvenir à réformer l'islam, comme en témoignent le livre de Malek Chebel, Islam et raison, ainsi que les propos tenus par Rachid Benzine sur un plateau télévisé, appelant Luther et Spinoza à la rescousse pour faire un « miracle » ! C'est d'autant plus une « aberration intellectuelle », un non sens, que, si Luther a fait quelques retouches au dogme chrétien en vigueur, il n’a rien changé à la nature de ce Dieu superstitieux qui demeure le Créateur et le Juge suprême, tandis que Spinoza démolit le dogme religieux lui-même, au point que son « Dieu-Substance » est totalement incompatible avec le Dieu religieux et celui de Kant, en tout point identique avec son prétendu libre arbitre.

Je vous invite à consulter ci-après le texte « Entendement pratique, Philosophie, Superstition », dans lequel je montre, et crois démontrer sur une base rationnelle, pourquoi tout « dualisme », religieux et métaphysique [doctrine matérialiste et scolastique idéaliste], est forcément superstitieux, puisque l’Absolu est UN par définition, et non multiple. Le « Dieu-Créateur » des religions monothéistes, avec son prétendu « libre arbitre » est rempli de contradictions et d’incohérences ; donc, rien pour en faire LA Vérité absolue, à moins de vouloir unir, là aussi, libre arbitre et nécessité spinoziste, c’est-à-dire tout et son contraire ! Bien entendu, le « mektoub » des musulmans n'a rien à voir avec ce que Spinoza entend par « nécessité », même en « inventant » un lointain cousinage !

Vous parlez de « part de vérité », et dès lors nous n’avons pas la même conception de ce qu’il faut entendre par « Absolu » : la substance de Spinoza ne se partage pas, la substance est indivisible, puisqu’elle est LA Vérité absolue, sauf à vous de démontrer le contraire !  La substance n'est pas la somme des infinies relativités infinies, parmi lesquelles notre relativité humaine, mais aucune des relativités ne la saisit, telle qu'elle est « en soi ».


La substance ne réclame pas non plus, voire n’exige pas : adoration, soumission, prières, offrandes, rites, pèlerinages, etc., en vue de s’attirer ses faveurs ! Le Dieu superstitieux serait donc, de surcroît, injuste, inégalitaire et intéressé, alors que l’expérience montre que ses fidèles ne sont pas plus exempts que les impies face aux coups du sort, pour reprendre seulement l’exemple des catastrophes naturelles, cité par Spinoza. Vous me rétorquerez que le Dieu des juifs aurait accordé l’ « élection » à un peuple, au mépris aussi de toute égalité. C’est sûrement pourquoi le « philosopheur » Bernard-Henri Lévy vient au secours de la superstition musulmane en parlant d’ un « islam des Lumières » ; comme si Allah était ce que Spinoza nomme « Dieu »..!

On ne va quand même pas se tirer dans les pattes entre religions, comme le confirment les prises de position communes à propos de la récente controverse sur les caricatures du prophète, par exemple ! Imaginez un instant Bernard-Henri Lévy jouant son rôle de « vrai philosophe », et dénonçant en conséquence, tel Spinoza, la superstition judaïque : vous avez dit « impossible »..? ! C'est exactement ce que je pense...

Encore un mot pour justifier mon point de vue sur l’ « impossibilité » de l’islam à se réformer. Ma position se fonde sur l’absence d’une autorité musulmane universelle, à l’exemple de celle du catholicisme, reconnue par tous comme étant habilitée à décider des réformes à entreprendre, et à imposer ensuite les décisions adoptées à la communauté musulmane mondiale ; et je ne pense pas qu’il s’agisse là simplement d’un problème pratique à résoudre, comme en témoignent les dissensions au sein du CFCM !

Pour conclure, non seulement l’islam a manqué le « rendez-vous des Lumières », tout comme les autres superstitions religieuses en ce qui concerne leurs dogmes et leurs « croyances au miracle » - et il n’est pas près de prendre le train en marche ! -, mais il n’est pas non plus la religion de paix et de tolérance dont on nous rebat les oreilles, comme l’illustre si bien aujourd’hui le semblant de guerre civile entre sunnites et chiites en Irak ! Comment parviendraient-ils à s’accorder sur d’éventuelles réformes de fond ? Je n'ose même pas envisager l'hypothèse de leur mise en application..!


Vous avez seulement la chance que la pensée dominante « politiquement correcte » du jour empêche, grâce au terrorisme intellectuel de l'époque, le « véritable » débat d’idées "sans tabou", dans la France du XXIème siècle, et que la critique de la superstition musulmane soit mensongèrement assimilée à du racisme par des "menteurs" suffisamment puissants, politiquement, financièrement ou autrement, pour faire croire que la critique des idées d'une religion est identique à une attaque contre des personnes. Cet amalgame est exactement identique à la confusion volontaire entre antisionisme et antisémitisme : même le juif Brunner l'a dénoncée sans ambiguïté; ceci explique sûrement pourquoi il n'est pas en odeur de sainteté dans la comunauté...

 
Par "véritable" débat d'idées, j'entends celui qui ne consiste pas seulement à opposer des points de vue « relatifs partisans » à d’autres, tout aussi relatifs et partisans, mais à les confronter, tous sans exception, à LA Vérité éternelle absolue, telle qu’exprimée par des penseurs véritablement universels, à savoir des mystiques authentiques - comme le Bouddha et le Christ dans leur Parole non pervertie par la superstition religieuse, qui a fait d’eux les fondateurs d’une religion -, et de « vrais » philosophes du UN absolu, parmi lesquels Socrate, Platon, Giordano Bruno, Spinoza et Constantin Brunner (1862-1937), leur héritier spirituel.

Le texte ci-après, La lâcheté des élites, vous apportera la preuve que le « véritable » débat d’idées est escamoté, aujourd’hui comme hier, au profit des sornettes superstitieuses, religieuses, métaphysiques, idéologiques et moralistes. J’y dénonce tous les « faiseurs d’opinion » du monde de l’information, de la politique, de l’intelligentsia et des associations moralisatrices à sens unique et adeptes du « deux poids, deux mesures », du seul fait qu’ils colportent les mensonges et les « croyances au miracle » du monde, sans avoir le courage intellectuel de débattre : si la substance spinoziste n’est pas à leurs yeux LA Vérité absolue, qu’ils le démontrent !


Comme rapidement évoqué ci-dessus, je souligne que la Superstition, au sens d’ « absolutisation du relatif » donné à ce terme par Brunner, concerne, non seulement la religion, toutes religions confondues – monothéistes ou non -, ainsi que la métaphysique [matérialisme et idéalisme], mais également l’idéologie, toutes les idéologies sans exception – altermondialisme inclus ! -, et le moralisme [Morale et condamnation moralisatrice des « autres » au nom de LA Morale], tous catéchismes réunis, y compris le catéchisme soi-disant universel contemporain ou Déclaration universelle des droits de l’homme, dont seule l’ « inobservation » est réellement universelle.

Dans l’attente de vos objections éventuelles, fondées sur la Raison et non sur la « croyance au miracle », auxquelles je suis tout disposé à répondre, je vous remercie de votre attention et vous prie d’agréer, Monsieur, mes salutations distinguées.

Annexe : I – La lâcheté des élites
                II - Entendement pratique... Philosophie... Superstition



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