LETTRE A JACQUES CHIRAC (Suite 4)

Publié le par Sylvain Saint-Martory

SUITE 4

Le 7 décembre 2005

Monsieur Jacques Chirac
Palais de l'Elysée
55 rue du Faubourg Saint-Honoré
75008 Paris

(A l'attention de Dominique de Villepin et des membres du gouvernement)


Monsieur,

Si l'on entend, par "discrimination", le fait de distinguer des différences entre les individus et les groupes d'individus sur la base des sens, qui peut nier des dissemblances d'apparence entre humains et groupes humains..? Assurément, percevoir des différences ne devrait pas conduire à attribuer une quelconque infériorité à tel ou tel groupe et à ses membres, encore moins à accorder des droits différents en fonction d'une quelconque spécificité naturelle ou affichée – port d'un signe religieux, par exemple. Je remarque toutefois que s'attribuer une certaine supériorité pose beaucoup moins de problèmes - et ce, sans raison ! - aux "prétendus vertueux", s'octroyant en l'occurrence une supériorité morale sur les autres, du seul fait de prononcer des anathèmes : "Je condamne, donc je suis vertueux" – à moins que ce ne soit l'inverse ! -, même si, par ailleurs, ces pseudo-vertueux tombent dans le délit d'opinion, une forme de discrimination à l'origine de millions, voire dizaines de millions de victimes, dans l'Histoire récente..!

J'attire également votre attention sur cette disposition innée de notre nature humaine qui porte chacun à "généraliser", faute de pouvoir former mentalement autant d'images distinctes des choses qu'il n'en existe en réalité. De ce fait, nous formons des concepts génériques, nous généralisons. Toute généralisation est forcément source de stéréotypes et de préjugés, que seule la raison peut corriger ; or, la raison est loin d'être la chose du monde la mieux partagée, car c'est plutôt la "croyance au miracle" ! D'autre part, comme déjà évoqué, en vertu de notre penser en concepts, nous ne pouvons pas penser un seul concept sans penser à la fois le "modèle idéal" du concept pensé : par exemple, femme et femme idéale, homme et homme idéal, justice et justice idéale, égalité et égalité idéale, etc., etc., mais ce n'est pas une raison pour confondre la théorie – l'Idéal - et la pratique - la réalité quotidienne. Certes, la quasi-totalité de la foule n'a pas forcément conscience des mécanismes de notre penser, et le rôle des hommes publics ultra-médiatisés serait d'instruire l'opinion au lieu de se livrer à des chasses aux sorcières "partisanes", dont le seul ressort est l'égoïsme - comme il l’est pour tous nos comportements humains !

Lorsque je généralise en parlant de l'égoïsme de tous les humains sans exception, je ne mets aucun groupe humain à part pour lui attribuer une quelconque supériorité ou infériorité ; cette généralisation doit être comprise dans le sens où il n'y a pas de "différence de nature" entre les humains, mais seulement des "différences de degrés" qui se manifestent, comme déjà dit, selon les circonstances de la vie de chacun, et chez un même individu, de manière différente à divers moments de son existence en fonction du ressenti, de ses affects du moment.

C'est tellement facile d'évoquer l'Idéal, la perfection, le "modèle idéal" de l'Homme, pour juger et condamner moralement "les autres", qui sont tout sauf "parfaits", tout sauf des individus conformes à l'Idéal . Encore faudrait-il se juger aussi soi-même par rapport à l'idéal et se condamner également, en tant qu'individu semblable à tous les autres avec notre nature humaine égoïste, en se comparant précisément à l'Idéal, dont nous ne sommes, TOUS sans exception, que le pâle reflet : face à l'Idéal, chacun est forcément coupable, coupable de crime de "lèse-Idéal" ! Seule cette prise de conscience contribuerait peut-être à diminuer l'hypocrisie et l'intolérance généralisées car, dès lors, chacun admettrait que l' « autre » est également égoïste et agit aussi en fonction de ses intérêts égoïstes..! Mais, allez faire admettre cela à tous ces "vertueux" qui font l'opinion, et qui "croient" échapper à la nature humaine universelle par un "miracle" de la Nature en leur faveur, au seul prétexte qu'ils jettent des anathèmes et donnent des leçons de morale aux autres..!

Pour être complète, mon analyse d'ensemble sur le moralisme devrait également traiter philosophiquement la question fondamentale de la croyance au "libre arbitre", héritée de la religion et de l'idéalisme de Descartes et de Kant, en l'opposant à la "nécessité", au sens spinoziste du terme. Cette confrontation exigerait un long débat, puis une patiente pédagogie pour convaincre l'opinion de se débarrasser enfin de cette croyance illusoire qui pose superstitieusement la question de la responsabilité morale de nos actes - ceci n'exclut nullement que l'action de notre justice humaine se poursuive pour des raisons pratiques. Je laisse toutefois cette question provisoirement en suspens dans l'attente de vos objections, voire de vos éventuelles propositions pour relever le défi ci-dessus, à défaut de quoi vous manifesteriez votre préférence pour les mensonges du monde et les "croyances au miracle" de la superstition idéologico-moraliste qui trompe l'opinion.

Pour terminer, j'attire votre attention sur la dérive communautariste, à laquelle ont conduit les croyances idéologiques superstitieuses des années 80. L'ouverture sans contrôle des vannes de l'immigration, sur fondement de laxisme et d'angélisme, par les rêveurs des années Mitterrand – en dépit de deux formules bien connues et plus souvent répétées que mises en pratique -, a conduit, et même contraint en raison de l’importance du flux migratoire, à renoncer peu à peu à l' « assimilation à la française », considérée pourtant jusque là comme la norme républicaine, au profit de la glorification de cultures importées, au point même de donner des cours gratuits de langue arabe pour intégrer à la République française des jeunes issus de l'immigration maghrébine !

Cette dérive communautariste va jusqu'à concéder aujourd'hui – à se demander ce qu'il en sera DEMAIN ! -, que notre Histoire soit remise en question par de soi-disant indigènes de la République au nom d'un passé révolu. Certes, notre Histoire contient forcément du positif et du négatif, comme tout ce qui est humain, et ce devrait être une évidence pour tous de présenter ses aspects négatifs au même titre que ses côtés positifs – l'enseignement scolaire de l'Histoire des siècles passés a surtout mis l'accent sur les faits d'armes, glorieux ou non, au point de faire apprendre leurs dates par cœur.

Or, les donneurs de leçons de morale à la France jugent l'Histoire de façon partisane en considérant surtout – pour ne pas dire "uniquement" - le négatif et en récusant le positif, comme cela est publiquement avéré à propos de la période coloniale. Sous la pression de "censeurs autoproclamés" – par qui sont-ils mandatés ? -, cette république, à la "minuscule" ici justifiée, recule même jusqu'au point de célébrer en catimini les hauts faits d'armes de son Histoire, glorifiés jusque là, pour ne pas déplaire à ces moralisateurs partisans. La France a peur des condamnations moralisatrices - dont j'ai dit sans ambiguïté ce qu'il fallait en penser – de ceux à qui la République a non seulement donné l'hospitalité, mais qui - c'est là mon principal argument - ne sont pas moralement plus "IRRÉPROCHABLES" que quiconque ; et ce d'autant moins, lorsqu'ils occultent des faits aussi graves de la même époque, en l'occurrence la purification ethnique en Haïti, où tous les Blancs furent massacrés ! Toutefois, la liste des reculades de la république des lâches, selon Rachid Kaci, est largement fournie depuis les années 80, malgré un récent sursaut républicain sur le port du voile, mais la religion a réussi à faire son entrée dans l'école laïque ; certes, encore timidement, pas au point de comparer les divers dogmes, mais attendons pour voir...

Pour être juste avec la République, à qui je dois tant, je me dois de souligner qu'elle ne mérite pas seulement des "blâmes", et la conclusion heureuse de l'affaire d'Outreau, par exemple, est tout à son honneur. Puissent tous les immigrés et leurs descendants, de quelque génération que ce soit, reconnaître qu'ils sont en général mieux ici que là-bas, au lieu de chercher des noises à la République..!

Sans le renoncement aux croyances superstitieuses idéologiques et moralistes dénoncées ci-dessus, et en particulier la division artificielle en racistes et antiracistes, une pure fiction, la dérive communautariste ne fera que s'amplifier jusqu'à un point imprévisiblement dangereux pour la République. D'ici là, en raison de votre fonction, je vous invite à méditer ce mot de Brunner: "Ménager la superstition aujourd'hui, c'est s'exposer demain à des dangers encore plus grands". Ainsi, la solution de faiblesse adoptée par la république, laissant s'établir un communautarisme de fait, loin d'être la meilleure manière de parvenir à l'unité nationale et à la paix civile, prépare-t-elle, ne serait-ce que sur le plan religieux, les éventuels conflits de demain, dont nous voyons aujourd'hui les prémices.

Ce n'est pas le modèle d'intégration à la française qui a échoué, c'est le renoncement progressif à son application qui a conduit à son échec ; hélas, il est trop tard pour revenir en arrière, mais il est encore temps d'arrêter de reculer ; il est même grand temps que l'arbitre siffle la fin de la "récréation" ! ! !

Siffler la fin de la récréation, c'est parler "vrai" sur fondement de Vérité éternelle absolue en dénonçant les mensonges et les croyances au miracle de la superstition idéologico-moraliste pour ramener chacun à la réalité du monde humain qui ne connaît ni vertueux ni salauds par nature ; de ce fait, aucune condamnation morale des "autres", réservée par définition aux seuls "irréprochables", n'a de justification : s'il existait réellement des humains irréprochables, ils se garderaient bien de juger moralement les autres – précisément, parce qu'ils seraient irréprochables !

Certes, dans notre monde humain, des "diables" accrédités - mais pas "irréprochables" pour autant - sont officiellement chargés de surveiller et de juger les comportements de tous les autres diables. Il semble impossible de procéder autrement, mais, au moins, ces diables accrédités ne prononcent-ils pas de condamnations "morales" – en principe ! Pour eux, les citoyens sont classés selon un critère et un seul : ils connaissent seulement ceux qui respectent la loi et les autres..! Certes, le lien entre la Morale et le Droit est si ténu que ce dernier se borne parfois à entériner la première dans des textes, sous la pression de groupes suffisamment influents financièrement ou autrement…

Pour résumer ma pensée, je souligne que le but principal de ma démarche est de voir rétablir davantage d' « équité intellectuelle » entre les multiples points de vue relatifs partisans exprimés publiquement. En effet, comme aucun n'exprime LA Vérité éternelle absolue, nul n’est légitimé à condamner moralement les autres sur la base de leurs opinions ; et ce d'autant moins, en refusant d'examiner sur le fond les opinions seulement controversées au nom de LA Morale. L'avantage de ce "parler vrai" serait pour vous, non seulement de sortir – éventuellement - en beauté, en rendant un immense service à la France, voire au monde, mais surtout, à l'exemple de Marc Aurèle, l'empereur philosophe, de figurer pour la postérité éternelle au rang des grands porte-parole de LA Vérité éternelle absolue.

Dans cette improbable éventualité, je vous remercie néanmoins de votre attention et vous prie d'agréer, Monsieur, mes salutations distinguées.

Annexe : La lâcheté des élites

Publié dans COURRIER "Politiques"

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