André Glucksmann : « Vous avez dit "philosophe" » ? ! » [SUITE]

Publié le par Sylvain Saint-Martory

Le 29 janvier 2011

 

Objet :

« Vous avez dit "philosophe" » ? ! »

 

Monsieur André Glucksmann

Aux bons soins du quotidien

Le Monde

80, boulevard Auguste Blanqui

75013 Paris

Fax : 01 57 28 21 21

 

Monsieur,

 

Un véritable philosophe ne saurait ignorer ce mot de Spinoza, invalidant à jamais la croyance superstitieuse en un Bien et un Mal absolus :

 

« Nous ne désirons pas une chose, parce qu’elle est bonne (absolument bonne, ou bonne « en soi »), c’est parce que nous la désirons que nous la jugeons bonne. »

 

Spinoza suffit ainsi à ôter l’ « absoluité », leur caractère absolu, à toutes nos valeurs humaines, y compris celles qui fleurissent au fronton de nos mairies et autres édifice publics. C’est pourtant sur cette « foutaise » d’absolu que les divers camps antagonistes, les tenants du Bien absolu et ceux du Mal absolu, s’affrontent sur les sujets les plus variés, comme il en va chez nous, aujourd’hui, en interdisant l’euthanasie, tandis que d’autres pays européens voisins ont pris des mesures contraires, témoignant aussi, à leur façon, de la « relativité » universelle des idées dans notre monde humain.

 

Une autre des fictions du moralisme, de la superstition moraliste [Morale et condamnations moralisatrices au nom de LA Morale : LAQUELLE ?], qui fonde vos anathèmes partisans, c’est la prétendue division par nature des humains en deux catégories : les bons, les gentils, les « vertueux », les antiracistes aujourd’hui, nous, et les mauvais, les méchants, les « salauds », les racistes eux, ainsi que l’a confirmé, en son temps, ce propos de Daniel Vaillant, alors ministre de l’Intérieur,  déclarant :

 

« Eux - la droite - se battent pour leurs intérêts, nous - la gauche -, nous battons pour des valeurs ! »

 

C’est pourquoi, face à ce mensonge éhonté, j’ai commenté alors ce propos en écrivant à l’un de ces « vertueux », dont j’ai oublié le nom : « Et mon cul, c’est du poulet ? ! »

 

En effet, cette fable avait été déjà dénoncée sans ambiguïté, voici bientôt deux millénaires, par l’un des grands diseurs universels de LA Vérité éternelle absolue, mais elle est toujours d’actualité, tandis que vous, les « vertueux », censeurs autoproclamés et donneurs de leçons de morale aux Autres, vous avez deux mille ans de retard sur la pensée du Christ – sauf, évidemment, à vous-même ou à quiconque de justifier le contraire ! 

 

Je passe rapidement, c'est-à-dire sans développer ici mon argumentation philosophique à validité éternelle, sur la troisième fiction de la superstition moraliste, à savoir notre soi-disant « libre arbitre », cette prétendue libre volonté en vertu de laquelle il nous suffirait de vouloir pour pouvoir. Elle se traduit concrètement par le superstitieux slogan électoraliste, « Yes, we can » d’Obama, entre autres, puisque lui-même a pu tout récemment vérifier que la méthode Coué n’avait rien d’efficace « en soi », à moins que la « nécessité » spinoziste ne vienne à son secours, car il arrive, évidemment, que les faits soient conformes à nos vœux, mais très fréquemment contraires aussi.

 

Et vous, les vertueux, vous appliquez cette fiction de « libre arbitre » également au domaine moral pour en conclure que, puisque notre volonté est libre, paraît-il, nous avons le choix de faire librement le Bien et d’éviter tout aussi librement de mal agir. Par conséquent, lorsque nous agissons mal, c’est dû uniquement à notre volonté de faire le mal, fut-ce en cas de danger de mort, voire devant l’exigence de tout autre intérêt égoïste de première importance. Selon vous, nous sommes donc inéluctablement et irrémédiablement « mauvais » par nature – sauf, évidemment, miracle de la Nature ou élection divine au profit des « vertueux », censés ainsi pouvoir faire la morale aux Autres, forcément voués au Mal de toute éternité ! ! !

 

Or, précisément dans mon courrier antérieur à votre intention, et dans mon courrier en général, je n’ai eu et n’ai de cesse de dire et de redire que, moralement parlant, il n’y a pas les bons et les mauvais, mais seulement des individus égoïstes, TOUS sans aucune exception - hypocrites et inconscients inclus !

 

Dans ma lettre annexée du 4 février 2002, vous trouverez de plus amples précisions sur notre égoïsme humain, tel qu’il se manifeste quotidiennement dans nos affaires d’amour, quel qu’en soit l’objet (biens ou personnes), de possession, toujours de biens ou de personnes – d’où l’importance de l’argent comme instrument d’échange – et de gloire ou honneur-vanité, à travers la recherche d’honneurs, de titres, de distinctions et de médailles de toutes sortes – mais  tout le monde n’accepte pas pour autant la légion d’honneur, contrairement à vous !

 

Compte tenu de ce qui précède, j’affirme :

 

« Face à l’Idéal,  chacun est forcément coupable, coupable de crime de « lèse Idéal ». Il n’y a pas, en effet,  il n’y a jamais eu et il n’y aura jamais d’individus ni de groupes d’individus, TOUS critères d’appartenance confondus, réellement irréprochables, donc habilités à reprocher aux Autres ce qu’eux-mêmes ont fait hier, ou referont demain à la première occasion, où leurs intérêts égoïstes de toutes sortes, individuels ou collectifs, voire communautaristes, l’exigeront – alors, vos leçons de morale sur la « discrimination », Messieurs les vertueux censeurs, merci de bien vouloir les utiliser d’abord à votre propre usage ! »

 

Au vu des multiples critères de discrimination (sexe, âge, origine ethnique ou nationale, opinions religieuses et politiques, orientation sexuelle, situation de fortune, statut social, apparence physique ou vestimentaire, etc., etc.), il n’y a pas les gentils Roms ni les gentils musulmans « antiracistes », et donc a fortiori « irréprochables ».

 

Si vous condamnez, à juste titre, toute généralisation, qu’elle soit positive ou négative d’ailleurs, il faudrait peut-être ne pas ignorer que « généraliser » est l’une de nos fonctions psychiques inévitable, faute de pouvoir nous représenter une multiplicité infinie d’images, qui, seule, permettrait précisément de distinguer à coup sûr le bon grain de l’ivraie.

 

Or, encore une fois, ou bien vous l’ignorez, ou bien vous le taisez pour pouvoir lancer à la cantonade vos anathèmes moralisateurs, mais ainsi vous mentez et vous manipulez l’opinion : vous avez dit « philosophe » ? !

 

A TERMINER…

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