Ségolène Royal : "J'ACCUSE !" [PartieIII]

Publié le par Sylvain Saint-Martory

Le 24 janvier 2007 
 
Objet :

J’ACCUSE :
« Assez de mensonges et de manipulation »


Madame Ségolène Royal
Parti Socialiste
10 rue de Solferino
75007 Paris
Fax : 01 47 05 15 78

 

[A l’attention de : Arnaud Montebourg, Bertrand Delanoë, Dominique Strauss-Kahn, Élisabeth Guigou, François Hollande, Henri Emmanuelli, Jack Lang, Jean Glavany, Jean-Marc Ayrault, Jean-Pierre Chevènement, Julien Dray, Laurent Fabius, Lionel Jospin, Malek Boutih, Manuel Valls, Martine Aubry, Michel Sapin, Olivier Duhamel, Robert Badinter et Vincent Peillon]

 
Madame,

 

J’en reviens au cas de Georges Frêche, condamné moralement pour « incitation à la haine raciale », en raison de son opinion sur la composition de l’équipe nationale de football. Il la juge non représentative de la population française dans son ensemble, comme chacun peut le constater dès lors qu’est revendiqué par ailleurs un égalitarisme « parfait », dénommé parité lorsqu’il s’agit de la représentation « hommes-femmes » en politique ou ailleurs : faudrait-il donc aussi fermer ses yeux pour « bien » penser.. ? !


A propos de votre condamnation moralisatrice, je ne peux manquer d’évoquer ici l’expression même de François Mitterrand parlant de « seuil de tolérance ». Ce propos de l’ancien Président visait sans ambiguïté le « seuil de tolérance » de la composition de la population française sur le plan ethnique, et donc en bonne logique, François Mitterrand aurait dû être également condamné pour « incitation à la haine raciale », selon votre optique ! Par chance, il faisait précisément partie des vertueux « censeurs », donneurs de leçons de morale aux « Autres » - comme son parcours l’illustre si bien !

 
Au point où nous en sommes, je vous pose la question suivante :

« Serait-il également moralement condamnable de tenir le même propos que Georges Frêche, dès lors que l’équipe de football tricolore serait constituée de onze joueurs de couleur pour représenter la France ? »


Comme, en toute objectivité, nous n’en sommes pas très loin, à quel niveau situez-vous donc le fameux « seuil de tolérance » de François Mitterrand, puisque la proportion est déjà de 9/11, soit 81 %, et que diriez-vous s’il s’agissait de la même proportion « hommes-femmes » dans un autre contexte, postes de direction et fonctions électives, par exemple ? Le match France-Togo du « Mondial 2006 » a d’ailleurs montré que le ridicule ne tue pas, puisque l’équipe africaine et l’équipe tricolore comprenaient le même nombre de joueurs de couleur : deux « Blancs » par équipe ! D’où ma conclusion précédente : « C‘est compliqué un monde « relatif », mais ce n’est pas une raison pour condamner « absolument » les opinions des uns, en oubliant de juger aussi celles des autres ! »

 
Cette première fiction tendait à démontrer que rien n’est absolu dans notre monde, et pas davantage le Bien et le Mal - sauf à vous d’établir le contraire ! -, et elle conduit logiquement à la deuxième « fiction » qui en découle.


En effet, en relation avec un Bien et un Mal soi-disant « absolus », la seconde fiction du moralisme divise artificiellement les humains en deux catégories, ce qui est très pratique pour jeter superstitieusement des anathèmes et autres condamnations moralisatrices sans réel fondement - hormis le recours à la première fiction ! Cette division manichéenne consiste à distinguer « deux » catégories d’humains : les bons, les « vertueux », aujourd’hui les soi-disant antiracistes, et les méchants, les « salauds », les racistes, en déterminant de surcroît qui sont les bons, et lesquels sont les méchants. En réalité, les bons, c’est toujours les siens et soi – nous ! -, et les méchants, toujours les Autres – eux ! -, comme Daniel Vaillant, un autre vertueux, l’affirmait sans ambiguïté en déclarant : « Eux - la droite -, se battent pour leurs intérêts, nous - la gauche -, nous nous battons pour des valeurs » (SIC) ; peut-on trouver meilleur exemple pour justifier l’expression « se moquer du monde »..? !


En vertu de cette division sans aucun fondement, les uns seraient sur Terre pour accomplir le Bien absolu, tandis que les autres auraient été condamnés – par qui ou par quoi..? ! – à servir les desseins d’un Diable maléfique dans son œuvre de Mal absolu ! En clair, le choix est le suivant : soit, il y aurait « deux » natures humaines, dont l’une à l’usage des bons, une sorte d’élection divine pour ainsi dire, et l’autre réservée de toute éternité aux méchants, soit, certains privilégiés échapperaient - par miracle ! – à la seule et unique nature commune aux six milliards et quelques humains. En conséquence, il y aurait donc des individus privilégiés par la Nature à leur conception, mais selon moi, plutôt d’innombrables « hypocrites » sur la planète…


A propos de ces fictions mensongères de la superstition moraliste, je vous renvoie à la condamnation sans appel remontant à bientôt deux mille ans, qui dénonçait déjà sans ambiguïté cette « fable » des bons et des méchants, dont la longévité suffit à témoigner indiscutablement de la pérennité de la nature humaine. Le Christ, dans sa Parole non pervertie par la superstition religieuse qui a usurpé son nom, avait saisi LA Vérité absolue, et c’est pourquoi sa voix continue à se faire entendre également parmi les non superstitieux : ceux qui ne confondent pas relatif et absolu, puisque les distinguer est précisément le premier stade du chemin philosophique, selon Constantin Brunner, héritier spirituel du Christ et de Spinoza, déjà évoqué.

 
Le Christ, simple mortel, ni fils de Dieu ni « Dieu fait homme » selon des expressions prises au premier degré, c’est-à-dire d’après la religion et l’idéalisme de Descartes ou de Kant, avait fort justement compris qu’il n’y a ni Bien ni Mal absolus, et pas davantage les bons et les méchants ; et ce, pas davantage par nature que par les comportements quotidiens, où chacun se conduit, tantôt en « vertueux », tantôt en « salaud », avec assurément des différences de degré selon les circonstances et l’intensité de ses aspirations et intérêts égoïstes dans ses affaires d’amour, d’argent et de gloire ou honneur-vanité. »

 
Sans les positions moralisatrices partisanes des uns et des autres, il ne devrait même pas être nécessaire d’illustrer cette deuxième fiction, puisqu’il suffirait à chacun de se regarder lucidement, sans complaisance, c’est-à-dire de la même manière qu’il juge moralement les comportements des « Autres » ! Or, comme vous semblez partager l’idée d’une telle division manichéenne des humains, je suis contraint de vous ramener à l’actualité nationale et internationale pour montrer que les soi-disant antiracistes « autoproclamés » tombent aussi dans l’une ou l’autre forme de discrimination ; ainsi tel ou tel antiraciste stricto sensu peut-il faire preuve par ailleurs de sexisme ou d’homophobie, pour ne citer qu’un seul exemple d’ordre général, prélevé dans une liste infinie !


Que vous considériez une forme de discrimination comme étant plus grave ou plus dangereuse qu’une autre, votre point de vue « relatif » relève seulement de l’« absolutisation » fictive du Bien et du Mal en fonction de votre échelle subjective des valeurs, comme je pense l’avoir montré en établissant le palmarès des victimes respectives en raison de la race et de l‘idéologie, au cours du XXe siècle. Rien ni personne ne vous a investie en « Juge absolu pour dicter l’Idéal » ! Personne - à commencer par moi ! – n’est légitimité à juger et à condamner moralement autrui, de « façon absolue », pour la simple raison que chacun est forcément coupable face à l’Idéal, coupable de crime de lèse-Idéal !


Or vous, les « vertueux », vous condamnez pourtant moralement les « Autres », comme si vous ignoriez que, sur la planète entière, il n’y a jamais eu, il n’y a pas, et il n’y aura jamais d’individus, de groupes d’individus, TOUS critères d’appartenance confondus, donc de peuples, de nations et d’Etats « IRRÉPROCHABLES », et c’est pourquoi vous jugez sur la seule base des fictions moralistes dénoncées ! D’ailleurs, s’il existait des individus réellement « irréprochables », ils se garderaient bien de juger moralement les Autres, précisément parce qu’ils seraient eux-mêmes irréprochables !


Des raisons pratiques évidentes conduisent la société humaine à se protéger et à faire des exemples pour tenter de parer aux dérives de toutes sortes, auxquelles chacun peut succomber, y compris des responsables politiques, toutes tendances confondues, qu’ils soient ou non présidents de région ! Compte tenu des considérations générales précédentes, la société humaine confie, en fait, à des personnes aussi peu « irréprochables » par nature que les « Autres » le soin de surveiller et de juger d’autres « diables » en puissance.

 

Toutefois, ces « diables en puissance » accrédités ne prononcent pas de condamnations "morales" – du moins, en principe ! Pour eux, les citoyens sont classés selon un critère et un seul : ceux qui respectent la loi et les autres ! Cependant, même cette suprématie soi-disant absolue de la loi n’élude pas pour autant le problème du lien entre la Morale et le Droit : un lien si ténu que ce dernier, sous la pression de groupes suffisamment influents financièrement ou autrement, se borne parfois à entériner la première dans des textes, de sorte que des jugements sur fondement moral subsistent aujourd’hui comme dans l’Antiquité, quel que soit par ailleurs le « mal-penser » dénoncé hier, aujourd’hui et demain…


Ainsi, dans vos condamnations moralisatrices arbitraires fondées sur votre échelle relative de Bien et de Mal, vous - les « vertueux » ! -, vous condamnez sur tel critère de discrimination, tout en n’évitant pas des propos discriminatoires selon d’autres critères. C’était le cas, hier, pour l’âge du capitaine et les odeurs, mais il en va de même pour les « talonnettes », aujourd’hui ! Ce propos discriminatoire n’a pourtant valu aucun « carton jaune » à son auteur, en dépit de la discrimination manifeste pour apparence physique, ressassée d'ailleurs par le vertueux Bruno Gaccio et sa bande de « Guignols » - que ne dirait-on pas, en effet, s’il avait été adressé à un « nain » véritable..? ! Ce ne sont que quelques exemples à côté d’une infinité d’autres à l’échelle de la planète, mais ils attestent néanmoins qu’il n’y a de vertueux qu’en parole, pas en acte, y compris en matière de discrimination ! Toutefois, je m’en tiens là sur la superstition moraliste, car j’ai déjà été bien long, sans être complet pour autant, et j’en viens à la superstition idéologique.


Autant il est difficile de « monologuer » sur la superstition moraliste, dans le souci de convaincre de la « relativité » des idées et des actes, autant il est aisé de démontrer qu’instaurer un « ordre juste » est une « impossibilité absolue », donc un mensonge et une tromperie de l’opinion. C’est d’ailleurs pourquoi j’ai déjà dénoncé sans aucune ambiguïté ce propos mensonger de François Hollande déclarant sur LCI, le 21 novembre 2004 : « Cette gauche qui veut changer le monde, et qui sait comment le changer. » (SIC !) ; alors, pourquoi demander aujourd’hui leurs recettes aux citoyens français..? !


Le mensonge fondamental de la superstition idéologique est d'accréditer l'idée « intellectuellement aberrante » de l'avènement d'un monde parfait avec des humains imparfaits, c'est-à-dire tels que nous sommes réellement avec notre nature humaine égoïste, tous sans exception, et non tels que de prétendus « vertueux » s'imaginent être, et voudraient le faire croire aux Autres !


Certes, vous avez d’abord parlé d’ « ordre juste », et non de « monde parfait », ni d’un « autre monde », mais vous avez depuis remplacé « ordre juste » pour parler d’« agir juste », lors de votre dernière intervention sur TF1. Il n’est donc pas facile de s’y retrouver, et c’est pourquoi je m’en tiens à votre idée première d’« ordre juste », maintes fois réitérée depuis votre intention de candidature. A ce propos, précisément, je ne peux manquer de faire remarquer une ambiguïté de taille, dont vous seule détenez la réponse : cet « ordre nouveau » devra-t-il être « absolument » juste, ou sera-t-il seulement « relativement » juste ?

 
La différence est énorme, incommensurable, mais par souci d’honnêteté intellectuelle, je veux bien examiner la seconde hypothèse pour m’en débarrasser très rapidement en faisant remarquer ce qui suit : un ordre seulement « relativement » juste ne peut s’évaluer qu’en terme de plus ou moins juste par rapport à une situation de départ, car la troisième possibilité théorique, exprimée par le statu quo, ne présente aucun intérêt pour un candidat décidé à changer les choses, et encore moins pour les citoyens qui réclament du changement.


Entre un ordre plus ou moins juste, votre choix ne peut se porter que sur l’idée d’instaurer un ordre « plus » juste, comme cela apparaît évident à chaque citoyen-électeur. Là, commencent des difficultés sans nombre, dont la première sera de désigner un organisme représentatif « impartial » chargé de décider à terme – donc, encore et toujours DEMAIN ! -, si la société française est plus juste ou moins juste qu’auparavant. Sauf à s’en remettre au jugement, au « sentiment », donc à l’impression approximative de chaque citoyen pour juger du plus ou du moins juste entre 2007 et 2012 ; dans les deux cas, je vous laisse imaginer la cacophonie, d’où ne sortira aucune réponse à validité absolue, mais qui aura engendré nombre de conflits partisans entre les tenants du plus ou du moins juste constaté !

 
Déjà aujourd’hui, la société française, telle qu’elle est, convient très bien à certains qui ne souhaitent rien changer - sinon à avoir encore plus ! -, tandis que l’injustice est flagrante pour d’autres en situation précaire, ce que personne ne saurait nier, bien que chaque cas soit spécial, voire intentionnel quand il s’agit de certains SDF. Pour ce qui est du plus ou du moins juste à l’arrivée, au terme du quinquennat, la somme des impressions individuelles, impossible à connaître par ailleurs, ne constituera jamais un avis « absolu » ! C’est pourquoi, comme tout ceci nous ramène à la confrontation des « pour » et des « contre » entre lesquels tranchent seulement les intérêts égoïstes des uns et des autres, j’arrête, là, l’examen de la deuxième hypothèse, sans intérêt : en effet, un ordre plus ou moins juste laissera toujours subsister un « ordre injuste » - et ce, jusqu’à la fin des temps !


En conséquence, il ne reste plus que la première hypothèse à examiner, la perspective d’instaurer un ordre « absolument » juste, dont j’ai déjà affirmé qu’il s’agit d’une « impossibilité absolue ». Pour le démontrer, je peux dès lors assimiler monde « parfait » et monde « absolument juste », sauf à vous de présenter vos objections rationnelles montrant une différence sémantique entre « absolument parfait » et « absolument juste ».

 
Cette idée de monde parfait ou « absolument juste » avec des humains imparfaits est d'abord une véritable « aberration intellectuelle », un sacré défi à la Raison, sauf à fantasmer que l'être humain deviendra lui-même « parfait », l'Homme idéal, à force de progrès moral : mais seulement DEMAIN, car c'est toujours DEMAIN avec la superstition !


Pas plus vous que quiconque ne me convaincra d'une quelconque éventualité de cette chimère d'un soi-disant autre monde, d’une société « parfaite » ou « absolument juste » avec des humains « imparfaits », sauf à m’indiquer d’abord la manière de transformer l' « inéquation » incontestable, et toujours d'actualité : « besoins illimités, moyens limités », en une égalité a minima : « besoins illimités, moyens illimités », sans laquelle tous les marchands de rêves et autres vendeurs d'illusions restent et resteront toujours dans leurs croyances au miracle, et donc dans la tromperie de l'opinion. La marche du monde, ici comme ailleurs, permet d'en juger, puisque toute revendication commence d’abord par réclamer davantage de moyens, ce qui assurément suffirait à résoudre un nombre infini des problèmes de la société universelle humaine, à commencer par celui de la faim et de la misère ; et encore cela serait-il insuffisant pour en faire un monde « absolument juste » pour une infinité d’autres raisons tenant à notre nature !


Publié dans COURRIER "Politiques"

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