Ségolène Royal : "J'ACCUSE !" [Partie I]

Publié le par Sylvain Saint-Martory

Le 21 janvier 2007

Objet :

J’ACCUSE :
« Assez de mensonges et de manipulation »


Madame Ségolène Royal
Parti Socialiste
10 rue de Solferino
75007 Paris
Fax : 01 47 05 15 78


[A l’attention de : Arnaud Montebourg, Bertrand Delanoë, Dominique Strauss-Kahn, Élisabeth Guigou, François Hollande, Henri Emmanuelli, Jack Lang, Jean Glavany, Jean-Marc Ayrault, Jean-Pierre Chevènement, Julien Dray, Laurent Fabius, Lionel Jospin, Malek Boutih, Manuel Valls, Martine Aubry, Michel Sapin, Olivier Duhamel, Robert Badinter et Vincent Peillon]

 
Madame,


Je vous remercie de votre lettre du 19 décembre, en réponse à celle adressée le 20 novembre dernier, mais je ne peux m’empêcher de regretter la brièveté de votre courrier sans le moindre mot sur le fond, ce qui est assurément la meilleure manière d’avoir toujours raison.


Votre lettre ne tient aucun compte de mon développement argumenté sur les mensonges de la superstition idéologico-moraliste, consistant à travestir toute vérité seulement relative de notre monde en Vérité absolue ; et ce, au moyen d’une présentation partielle et mutilée, donc partisane, faisant ressortir seulement ce qui arrange de multiples intérêts, et dissimulant ce qui les dérange.


La brièveté de votre réponse, et donc votre non-réponse sur le fond, m’amène à me demander si ma lettre a été lue entièrement, ou bien si le préposé à la rédaction du courrier, néanmoins signé par vous, s’est contenté de répondre après lecture du seul premier paragraphe, dans lequel je dénonçai la condamnation moralisatrice de Georges Frêche, comme étant une atteinte à la liberté d’expression.


Il est vrai que vous avez déjà fourni la preuve de votre tendance à éviter les débats « contradictoires », et je ne parle pas ici de la confrontation télévisuelle entre « camarades » socialistes déjà d’accord pour l’essentiel sur le fond, à savoir la doctrine fondatrice !


Au préalable, toutefois, pour vous éviter de me taxer par avance d’ « antisocialisme primaire », avant de développer à nouveau mes arguments contre la superstition idéologico-moraliste, je souligne avec insistance que ceux-ci ont déjà été largement exposés, non seulement aux grands leaders socialistes mis en exergue ici, mais également à nombre de soi-disant « élites » du monde de l’information, de la politique, de l’intelligentsia et des associations « droits-de-l’hommiste » dénoncés dans le texte annexé, Mensonges et lâcheté des élites, dont j’attends toujours jusqu’ici des objections sur le fond. Je les attends, d’ailleurs, d’autant plus sereinement que je ne saurais « avoir tout faux » dans la confrontation de notre penser relatif à l’Absolu – sauf aux élites dénoncées, voire à vous-même, d’établir le contraire ! Ceci permettrait d’ouvrir enfin le débat confisqué par les porte-parole de la superstition idéologico-moraliste.


Sur le fond, je souligne que les mensonges évoqués à propos du moralisme [Morale et critique morale des « Autres », au nom de LA Morale] sont à l’origine des « condamnations moralisatrices » de l’époque et de toutes les époques – y compris de l’Antiquité ! -, auxquelles vous n’échappez pas. Ce sont seulement de semblables jugements moralisateurs qui ont servi à justifier l’empoisonnement de Socrate, la crucifixion du Christ, l’envoi au bûcher de Giordano Bruno et l’excommunication de Spinoza, entre autre ; que quelqu’un me démontre, en effet, la fausseté de leur Parole de vérité : celle qui n’a pas été pervertie par la superstition populaire !

 
Eux aussi, en leur temps, furent jugés coupables sur la seule base de leurs opinions dérangeant des intérêts de toutes sortes. Certes, de nos jours, le délit d’opinion condamne surtout au bûcher médiatique allumé par de soi-disant bien-pensant(e)s, toujours aussi soucieux de leurs intérêts. Aussi, après des millénaires, le même problème subsiste dans l’ensemble de la société universelle contemporaine ; forcément, puisque la nature égoïste des humains est inchangeable, « immuable », en dépit des faux-semblants !


Néanmoins, chez nous, le phénomène « moralisateur » dénoncé aurait été plutôt aggravé par l’avènement de la gauche au pouvoir en 1981, puisque la confrontation des idées a été déplacée du domaine strictement politique, où les divergences d’opinions sont légitimes, sur le terrain de la morale « droit-de-l’hommiste », où les diverses idées exprimées sont censées représenter « moralement » le Bien ou le Mal, et font donc l’objet de jugements de valeur partisans.


C’est pourquoi, si je devais avoir des regrets, le plus grand serait d’y avoir contribué - et pire d’avoir persévéré ! -, malgré certaines conquêtes sociales que je ne  méconnais pas, même si elles étaient surtout motivées par des préoccupations électoralistes ; des mesures, d’ailleurs déjà remises en question en matière de retraite et de temps de travail, par exemple. Toutefois, loin de conduire à un prétendu « ordre juste », dont je reparlerai, elles ont laissé perdurer de très nombreuses inégalités, maintenant ainsi un ordre toujours « injuste », sinon encore plus injuste ; et ce, vingt-cinq ans après une prétendue « r.r.rupture » (sic) promise par le candidat socialiste d’alors : une soi-disant rupture, qui laisse le capitalisme-libéralisme plus triomphant que jamais !


Pour revenir à la controverse initiale, je fais remarquer que votre recours à de grands mots pour condamner moralement Georges Frêche, en l’occurrence « incitation à la haine raciale », augure mal de votre intention, récemment rapportée au cours d’un « Journal de 13 heures » sur France 2, de relever le niveau de la politique. En effet, pour relever le niveau de la politique, encore faudrait-il que les responsables politiques, toutes tendances confondues – et pas seulement les « politiques », d’ailleurs ! -, puissent élever leur niveau de réflexion intellectuelle, et surtout philosophique, au dessus de leurs prises de position relatives intéressées en les confrontant à LA Vérité absolue : celle exprimée notamment par les grands penseurs évoqués ci-dessus.


Or, votre réponse se résumant à dire comme le premier gendarme ou policier posté sur le bord d’une route que le règlement, c’est le règlement, montre que vous êtes encore très éloignée, intellectuellement et philosophiquement parlant, de vous élever au niveau souhaité pour changer la politique. J’admets, toutefois, sans aucune réserve que vous n’êtes pas la seule responsable politique dans ce cas, car l’exception inverse serait plutôt la règle !


La condamnation moralisatrice « sans appel » de Georges Frêche suffit néanmoins à attester que la liberté d’expression est et sera toujours soumise à l’arbitraire alternatif des puissants de toutes sortes, comme l’a exprimé votre directeur de campagne, Jean-Louis Bianco, déclarant sans rire sur RMC Info,: « On peut tout dire, mais il y a des limites » ! ! ! Or, qui en décide, et en vertu de quel décret divin, c’est-à-dire sur quel fondement absolu ?


Les prises de position du Parlement sur l’abolition de la peine de mort et sur le Traité constitutionnel européen, par exemple, témoignent du fossé entre l’opinion et la classe politique, puisque les points de vue sur ces questions étaient diamétralement opposés ; mais il est vrai que personne n’avait cherché à consulter le peuple dans le premier cas, alors que lui donner la parole a donné le résultat contraire, lors du referendum !


Sur la peine de mort, qui présente du « pour » et du « contre » comme tout ce qui est humain, il n’y a donc pas davantage de décision à validité absolue, et je ne peux laisser passer l’occasion de souligner que, sur cette question, les plus vertueux abolitionnistes ne sont pas forcément ceux que l’on pense : abolir la peine de mort, « sauf crimes exceptionnels », comme en Israël, ce n’est pas l’abolir réellement – les citoyens français partisans de son maintien ne demandent pas autre chose !

 
C’est pourquoi, au lieu de la démocratie participative de circonstance, limitée de facto aux militants et dirigeants concernés – majoritairement, sauf à vous d’établir le contraire ! -, il serait préférable d’instituer les referenda d’initiative populaire comme dans la Confédération helvétique - y compris sur des questions aussi taboues que l’immigration !

 
A propos de la liberté d’expression et des limites évoquées par Jean-Louis Bianco, même le catéchisme soi-disant universel contemporain ou Déclaration universelle des droits de l’homme n’a pas réussi à sortir du piège consistant à transformer le relatif en absolu, c’est-à-dire à transposer l’Idéal dans le quotidien. En effet, tandis que la Déclaration de 1948 qui, par ailleurs, n’a pas dû être adoptée à l’unanimité des votants, accorde une liberté d’expression absolue dans son article 19, elle s’empresse aussitôt de la restreindre dans son article 29, en la livrant à l’arbitraire des Etats et de ceux qui « font l’opinion », sans pour autant dicter moralement le Bien et le Mal ; forcément, puisqu’il n’y a ni Bien absolu ni Mal absolu – hormis pour ceux qui en décident en vertu de leurs seuls intérêts de toutes sortes, et c’est votre cas !

 
En effet, selon une récente information (Cf. France Info du 13 janvier 2007, journal de 6:30), vous auriez déclaré être « respectueuse de toutes les opinions » ! Or, compte tenu de votre condamnation moralisatrice de Georges Frêche, je suis conduit à ajouter : « de toutes les opinions,  à condition qu’elles soient aussi les vôtres », sinon, vous êtes en contradiction avec vous-même ! En effet, vous condamnez moralement Georges Frêche dont l’opinion ne coïncide pas avec la vôtre, alors que, fidèle à votre déclaration, elle devrait être aussi « respectée » que toutes les autres, c’est-à-dire ne pas être passible d’un jugement moral, voire d’une sanction pénale !


Ceci est particulièrement inquiétant de la part d’une candidate - comme de tout candidat, d‘ailleurs ! - à la magistrature suprême, dont la fonction devrait impliquer de se tenir autant que possible au-dessus de toutes les vérités relatives idéologiques et moralistes, voire religieuses et scientistes, du monde : si vous évoquez la loi, je souligne que celle-ci ne possède aucune validité absolue, ni au niveau intellectuel et pratique, ni sur le plan strictement philosophique, comme cela peut être montré et démontré !


Prendre conscience de la relativité des idées, qui les conduit forcément au deux poids, deux mesures, éviterait déjà de prendre part à des condamnations moralisatrices partisanes, dont certaines ont révélé récemment la « débilité intellectuelle » de l’époque, à propos du jugement moral sur le passé colonial de la France .

 

Une période coloniale, à laquelle ont largement contribué également de hauts responsables politiques de gauche sous les républiques précédentes, parmi lesquels François Mitterrand notamment, que vous avez servi, et qui déclarait, en 1954 : « L’Algérie, c’est la France » ! Sur ce, cinquante ans plus tard, Georges Frêche est moralement condamné pour ses propos sur les harkis, pourtant « traîtres » à la cause nationale algérienne !


En effet, examiné sur le plan strictement intellectuel - et non moralisateur ! -, force est de constater que, si la cause des harkis avait triomphé, l’Algérie serait aujourd’hui encore française, conformément au vœu de François Mitterrand : un détail pour l’Histoire ! ! ! Je concède que cette erreur historique d’appréciation n’excuse pas l’emploi du mot « sous-homme », comme j’en ai fait part à Georges Frêche ; toutefois, s’il a tort sur la forme, il a raison sur le fond, comme doivent le penser les anciens combattants du FLN, plus à même de juger que vous et moi – sauf à vous de démontrer le contraire, en justifiant les représailles d’alors en Algérie  par une autre raison que « collaboration » avec l’ennemi !


Au cas où il vous viendrait à l’idée de me reprocher de remuer le passé, je vous fais observer que je ne procède pas autrement que de prétendus « indigènes de la République » qui font culpabiliser la France et les Français, au nom d’un passé révolu de plusieurs siècles, et remontant même aux croisades – qui dit mieux..? ! Or, juger le passé avec notre mentalité « droit-de-l’hommiste » contemporaine est une immense malhonnêteté intellectuelle ; à ce compte là, en effet, Voltaire, Montesquieu et autres philosophes des Lumières, pourtant encore encensés aujourd’hui par l’Université, seraient condamnés aujourd’hui pour « racisme », en raison de leurs propos sur les « nègres » !

 
Croyez-vous réellement que la France n’a rien de mieux à faire que de ressasser le passé, et de se repentir pour des actes qui pourraient être reprochés pareillement à d’anciennes puissances coloniales européennes (Espagne, Portugal, Angleterre, Pays-Bas et Italie, notamment), alors que la pratique de l’esclavage, blâmée à juste titre - surtout lorsqu’elle était le fait d’Européens ! -, perdure dans nombre de pays africains et/ou musulmans, dont les ressortissants viennent pourtant donner des leçons de morale à l’Occident avec votre onction « victimaire », en particulier ?

 
Qu’attendez-vous donc pour dénoncer la survivance de ces pratiques, au risque de perdre votre fonds de commerce électoral ? Et ce, au mépris du mot de Camus :

« Une seule chose au monde me paraît plus grande que la justice : c'est sinon la vérité elle-même, du moins l'effort vers la vérité. Nous n'avons pas besoin d'espoir, nous avons seulement besoin de vérité » !

 
Quant à la période coloniale avec ses condamnations moralisatrices d’aujourd’hui, faut-il manquer totalement de réflexion, en effet, pour oser admettre officiellement qu’une quelconque chose humaine, fut-ce la colonisation, pourrait comporter « exclusivement » du négatif, ou a contrario « uniquement » du positif ! En effet, dans un monde où tout est relatif – sauf à vous de démontrer le contraire ! -, « TOUT » présente à la fois du « pour », des avantages, du positif, et du « contre », des inconvénients, du négatif !


Dans tous les cas, de manière plus ou moins consciente, et différente selon la pression des circonstances, chacun prend position en confrontant les arguments « pour » et « contre » de ses seuls intérêts égoïstes ; et ce, quels que ces derniers puissent être pour chacun dans son souci de vivre le plus longtemps et le mieux possible, en général, et dans ses affaires d’amour, d’argent, comme moyen de possession, et de gloire ou honneur-vanité, en particulier !

 
Seule cette confrontation des arguments et des sentiments « pour » et « contre » permet à certains de déclarer une chose bonne, et à d’autres de la déclarer mauvaise, sans que cela autorise quiconque à parler pour autant de Bien et de Mal absolus : le Bien soi-disant absolu des uns est le prétendu Mal absolu des autres. Bien et Mal absolus sont une « impossibilité absolue », philosophiquement parlant, et ils n’ont par conséquent aucune réalité, car il s’agit toujours d’un Bien et d’un Mal seulement « relatifs » par nature, mais fictivement absolutisés ! Il n’y a pas de choses bonnes ou mauvaises « en soi », comme l’exprime ce mot de Spinoza : « Nous ne désirons pas une chose, parce qu’elle est bonne, mais c’est parce que nous la désirons que nous la jugeons bonne » !

 
De ce fait, aucune vision du monde et de la France n’est légitimée à se prévaloir d’une validité morale absolue sur quelque question que ce soit, aussi « taboue » soit-elle, et en aucun cas à juger et à condamner moralement les Autres - ceux qui pensent différemment ! La vision de la gauche, plurielle ou divisée, fondée uniquement sur la fallacieuse promesse de « changer le monde », n’y échappe pas davantage que toute autre !

 

                        [A SUIVRE] 

Publié dans COURRIER "Politiques"

Pour être informé des derniers articles, inscrivez vous :
Commenter cet article