Esclavage : Vrai ou Faux..?

Publié le par Sylvain Saint-Martory

La vérité sur l'esclavage (Suite du dossier de Catherine Golliau)

Noir égale esclave ? Faux


Asservir l'autre est depuis la plus haute Antiquité et dans toutes les civilisations un moyen d'affirmer sa puissance tout en obtenant de la main-d'oeuvre à bon compte. En Egypte, la main-d'oeuvre servile, en grande partie locale (droits communs, mauvais payeurs), est propriété de Pharaon, des temples et des privilégiés. A Athènes, un habitant sur deux est un esclave ou un affranchi. Délos est alors le grand marché de la Méditerranée et Platon lui-même y fut vendu comme esclave. A Rome, à l'apogée de l'Empire, 2 à 3 millions d'esclaves de toutes origines et de toutes races vivaient en Italie, où ils représentaient plus de 35 % de la population, occupant toutes les fonctions ou presque, d'ouvriers agricoles à conseillers du prince en passant par médecin ou gladiateur. Le Moyen Age chrétien ? Il est aussi esclavagiste, et ses captifs sont essentiellement blancs. En Italie mais aussi en France ou en Espagne, il existait un vrai commerce d'esclaves, alimenté par les Génois, les Vénitiens, les Byzantins qui, d'après Olivier Pétré-Grenouilleau (« Les Traites négrières », Gallimard, 2004), n'avait rien à envier à la traite négrière du XVIIIe siècle. Les victimes ? Les musulmans, les juifs, mais aussi les chrétiens orthodoxes et les hérétiques. Il y eut ainsi, autour des années 1200-1300, une véritable traite des Bulgares bogomiles, mouvement manichéen des Balkans.

 

Qu'est-ce qui distingue ces pratiques de la traite négrière ? Son objectif. A partir du XVIe siècle, l'esclavage pratiqué par les Européens vise uniquement à se fournir en moyens de production : les hommes vont être utilisés comme des machines. A partir de 1492, Christophe Colomb a découvert les Amériques, immenses territoires à exploiter. Les Indiens d'Amérique, réduits au travail forcé, ont été rapidement décimés. On essaie bien d'utiliser dans les îles ou en Amérique latine des ouvriers européens (il y aura même encore des esclaves blancs à Cuba au XVIIe siècle). Mais leur nombre ne suffit pas : l'économie sucrière qui se développe alors exige une main-d'oeuvre nombreuse, robuste et surtout bon marché. L'Europe se tourne donc vers l'Afrique noire, où la traite a été expérimentée sur la côte ouest dès le XVe siècle par les Espagnols et les Portugais. A partir de la seconde moitié du XVIIe siècle s'organise ce que l'on va appeler le « commerce triangulaire » : les bateaux partent des ports européens (Le Havre et Rouen, La Rochelle, Bordeaux mais surtout Nantes, Liverpool, Amsterdam) chargés de marchandises destinées à « acheter » les captifs en Afrique. Ils cinglent ensuite, avec leur troupeau d'êtres humains, vers les Amériques (Caraïbes, Brésil, Amérique du Nord), où ils les déchargent et d'où ils repartent vers l'Europe enfin, les cales remplies des denrées coloniales. Soit un voyage de douze à dix-huit mois, à hauts risques, mais à forte rentabilité. Un « nègre » peut rapporter dix fois son prix d'achat. La traite négrière est le premier grand commerce mondialisé.

 

Les Européens sont les seuls responsables de la traite ? Faux

 


La traite « atlantique « organisée par les Européens - Anglais, Français, Hollandais, Portugais et Américains - a déporté entre 1450 et 1860 vers les plantations des Amériques et des Antilles 11 millions d'Africains, essentiellement originaires d'Angola, de haute Guinée, de Sénégambie et du Bénin.


La traite orientale

 
Mais il existe deux autres traites, plus anciennes, moins étudiées, quoique plus importantes par leur ampleur. D'abord celle dite « orientale », organisée dans toute l'Afrique noire par les musulmans d'origine arabe et leurs alliés noirs, traite qui, du VIIe siècle au XIXe, aurait entraîné, d'après les estimations de l'historien Ralph Austen, la déportation de 17 millions de personnes vers l'Arabie, le Maghreb, l'Inde et la Chine. Ce n'est qu'en 1920 que sera fermé au Maroc le dernier marché aux esclaves... Cette traite sert autant les intérêts économiques que l'expansion politique et religieuse de l'Islam. Au XIVe siècle, la traite est la spécialité des marchands du Yémen et du golfe Persique. Au XIXe, période où la traite orientale atteint son apogée et draine entre 4,5 millions et 6,2 millions de personnes hors de l'Afrique noire, le sultanat de Zanzibar, au sud de la Tanzanie, spécialisé lui-même dans la culture du clou de girofle, devient l'une des plaques tournantes de ce trafic. En 1923, l'admission de l'Ethiopie à la Société des Nations se fera moyennant son engagement d'abolir toute forme de servitude : près d'un tiers de ses habitants étaient alors des captifs... Quant à l'Arabie saoudite, elle n'a toujours pas aboli l'esclavage. Et au Soudan, les milices de l'Etat continuent à réduire les populations chrétiennes en servitude. La traite « orientale » a pourtant laissé moins de traces que la « traite atlantique » du fait d'une forte mortalité des esclaves (les captifs devaient, en fonction des routes sahariennes, parcourir à pied plus d'un millier de kilomètres, la mortalité sur la route de Libye pouvant atteindre 20 %), de l'importance des mariages mixtes, des affranchissements et de la castration de beaucoup d'hommes, utilisés ensuite comme eunuques.


La traite africaine


Troisième « traite », et la plus importante puisqu'elle va servir de support aux commerces des étrangers : celle pratiquée par les Africains eux-mêmes. Elle trouve son origine dans les guerres tribales traditionnelles, mais est amplifiée à partir du XVIIe siècle par la demande des Occidentaux et des musulmans. Cette traite « intérieure », qui va enrichir les grands royaumes africains comme le Dahomey (la ville de Ouidah, dans l'actuel Bénin, est le plus grand centre esclavagiste de la côte ouest), aurait touché 14 millions d'individus. Sujet tabou en Afrique, où beaucoup préfèrent parler de simples faits de « collaboration », la traite interne reste, elle aussi, mal connue. Ses séquelles semblent toutefois au centre des conflits racistes qui ravagent le continent noir depuis la décolonisation.

 

 

Publié dans BILLET DU JOUR

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